Vous pensez que la France est le pays des fromages qui puent ? Révisez votre jugement et découvrez le schabziger, la boule puante des fromages faisandés made in Switzerland. Cette spécialité ancestrale pourrait justifier l’invasion de la Suisse alémanique pour nous avoir dissimulé une arme de destruction massive…
Dans le centre-est de la Suisse, il y a le canton de Glaris (Glarus en Schwiizertüütsch). Et dans la ville de Glaris, il y a la société Geska AG qui fabrique un fromage mythique, le schabziger. Présenté sous la forme d’un élégant cône vert amande, le schabziger est préparé à partir de lait de vache écrémé, chauffé et additionné de ferment lactique acide. Une fois égoutté, le fromage obtenu (le sérac) est mûri de un à trois mois, malaxé, salé et placé en silos pour trois à huit mois.
Ensuite, et c’est là le secret du schabziger, on y ajoute de la trigonelle bleue séchée (Trigonella caerulae ou Ziger-Klee), une sorte de mélilot rapportée du Moyen-Orient par les Croisés et populaire au Moyen-Âge pour parfumer les plats. Cette plante va lui donner son joli teint vert pâle et sa saveur fatale. Car, même selon son fabricant, le schabziger divise le monde en ceux qui aiment (dans le canton de Glaris) et les autres…
Tout juste sorti du réfrigérateur, le schabziger dégage un parfum certes intense mais pas forcément rebutant : une forte odeur de foin fraîchement coupé et de fromage oublié dans un placard depuis le siècle dernier. Un récent article dans la Tribune de Genève faisait référence à des vestiaires après le match, mais cela nous paraît injuste. Sauf si toute l’équipe souffrait de mycose des pieds.
Mais là où le schabziger déploie toute sa puissance, c’est dans la cuisine. Il s’utilise râpé, probablement pour ne pas dépasser la dose mortelle, comme pour la muscade ou la fève tonka. Il existe même un moulin spécialement dessiné pour lui, sans nul doute en kryptonite. Le schabziger est donc plutôt un condiment, employé froid (pour des salades, par exemple) ou chaud (sur des pâtes, des pommes de terre, des soupes, etc.).
Les Doudes l’ont essayé sur des pâtes au beurre, tout simplement. Qui ont tout simplement fini dans la poubelle. Si le schabziger s’enorgueillit d’être resté identique depuis 1463 (où une loi en a fixé les caractéristiques), les Doudes soupçonnent que cette incroyable constance résulte plutôt du fait que tous les schabziger vendus depuis ont été fabriqués cette année-là… En tout cas, son goût en témoigne qui semble provenir tout droit du Moyen-Âge le plus obscur.
Pour ceux qui en ont assez de la vie, le fabricant a mis en ligne un site entièrement consacré au schabziger où il est possible de commander la bête (nul permis n’est requis) et qui propose de nombreuses recettes. La Suisse, patrie du droit de mourir dans la dignité fromagère…
Moui, c’est un peu superficiel, comme approche de ce monstre fromager, qui en plus contient moins d’1 % de matière grasse…
Si un peu de schab’ sur des pâtes au beurre vous suffit pour les virer à la poubelle et pour arrêter les expérimentations là, franchement, c’est léger… et c’est pourtant bien peu de chose !
D’ailleurs, les pâtes au schab’, ça s’agrémente comme chacun sait, d’oignons roussis à la poêle, voire d’un petit peu de purée de pommes acides (non sucrée) à côté, pour apprécier d’autant mieux le puissant arôme de noix du schab’…
J’en connais d’ailleurs – en France! – qui en râpent un peu pour assaisonner leur steaks, et c’est convaincant !