Rubrique : Boissons, Cafés

Vous ne pouviez pas y échapper… Une ode au café turc, mi-liquide mi-pâte, ce breuvage emblématique de l’Orient. Pourtant, un symbole en perte de vitesse dans un monde de buveurs de thé et d’adeptes de cafés à l’américaine. Pas besoin de lire le marc pour savoir que cette ode aura des accents de nécrologie.

« Une tasse de café vaut quarante ans d’amitié ! » disent les Turcs. Le petit noir est, en Turquie comme ailleurs, un élément du lien social. Dans ce pays, où l’on boit du thé en permanence, le café traditionnel a des allures d’événement un chouia officiel. Par exemple, c’est la boisson que l’on sert lorsqu’on reçoit les futurs beaux-parents de ses enfants ou lors d’une noce ou d’un enterrement.

Le café turc (ou ottoman/arménien/grec/serbe, vous n’allez pas commencer…) se prépare à partir de café moulu aussi fin que la farine. Cette poudre est bouillie trois fois dans une sorte de petite casserole, le cevze, dont la base est plus large que le col. Le sucre est ajouté dès le départ, à une dose variable selon le souhait du client : çok (très), orta (moyennement), az (peu) et sade (sans). Pour un mariage, il est d’usage de le boire çok pour célébrer la douceur de la vie. Pour un enterrement, sade pour symboliser son amertume.

Le café turc se boit chaud, sitôt servi, en faisant de petits bruits de siphon. On boit à peu près la moitié du volume de la tasse. Le marc est laissé au fond. Les aventureux renversent la tasse sur la soucoupe après avoir fait tourner le marc. Dix minutes plus tard, la tasse est retournée et le marc peut être lu. Un poisson pour la chance, une rivière pour l’argent, un serpent pour un ennemi…

Si vous lisez l’avenir du café turc dans votre tasse, vous y verrez que les Turcs ont adopté en masse le café instantané et que les chaînes américaines à tronche de sirène et autres pullulent. La plupart des restaurants ne proposent même plus de café traditionnel, mais peuvent en général le commander au kahve du coin si vous insistez. En Turquie, le café turc commence à voir son futur en noir…

À Istanbul, il devient de plus en plus difficile de trouver un endroit qui se spécialise dans cette liqueur. Les Doudes, sur le conseil d’amis, vont dans un bouiboui dans une ruelle qui donne dans la grande avenue d’Istiklal. Chez Mandabatmaz (« Même un buffle n’y sombrerait pas »…), Cemil Pilik passe sa vie à faire du café turc… et ça se sent. À partir d’un mélange de cafés fait à façon, Monsieur Pilik prépare un breuvage riche comme un bon chocolat chaud, épais mais pas « farineux », dont le goût de marc (la particularité du café turc) est fort mais sans amertume. On s’assoit sur de petits tabourets dans la ruelle et le temps s’arrête l’espace de quelques gorgées…

Olivia Geçidi 1/A – Beyoğlu – Istanbul
(la ruelle en face de l’église Saint-Antoine)

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Rubrique : Fruits & dérivés

En ce joli moi de Mai, les Doudes vous font découvrir une tradition alimentaire turque jamais mentionnée dans les guides touristiques et typique du printemps : les prunes vertes à la croque-au-sel. Une expérience étonnante qui vire assez rapidement à la dépendance. Mais comment pouvons-nous faire sans en Europe ?

À Istanbul, trois choses indiquent de manière certaine que le printemps arrive : dans les airs, les martinets font de la voltige en piaillant dans les suraigus ; dans les eaux, les turbots arrivent en grand nombre et finissent sur les étalages ; sur les trottoirs, les vendeurs à la sauvette proposent de drôles de petites boules d’un beau vert émeraude… « Mais qu’est-ce donc ? », se demandèrent les Doudes.

Ces jolies billes vertes, ce sont des prunes. Des papaz eriği (« prunes de prêtre ») pour être exact. Qui ressemblent fort à des mirabelles. Que font les Turcs avec ses fruits verts et bons pour les goujats (se demandent les étrangers en tordant le nez) ? Eh bien, ils les mangent à la croque-au-sel, comme nous mangeons les radis ! Les vendeurs de rue les préparent et les Stambouliotes les grignotent en street food.

On prend des prunes bien fermes vert foncé, on les lave, on les égoutte (pas trop) et on les croque trempées dans le sel. Le truc qui étonne, c’est que, sans sel, ce n’est guère fameux, alors que, une fois salées, on peut en manger des poignées ! Le mélange de salé et d’acide agit pour exalter les saveurs fleuries de la prune, un peu comme dans une umeboshi ou les fleurs et feuilles de cerisiers en saumure. À ce plaisir-là s’ajoute celui du croquant aqueux de la prune verte mêlé à celui minéral des cristaux de sel. Un mélange de textures inédit et qui crie « Encore ! ».

Bref, vous l’avez compris, les Doudes sont tombés dans la même folie que les Turcs qui attendent le retour des papaz eriği avec impatience et qui, au vu des petits chariots qui se vident rapidement, doivent en consommer des quantités astronomiques. Et ce, foi de Doudes, sans aucun effet indésirable intestinal, ce qui n’a de cesse de nous étonner…

En Géorgie, les prunes vertes entrent dans la recette du tkemali, une sauce très populaire utilisée pour accompagner les viandes grillées, les haricots ou les légumes.

Tkemali

600 g de prunes vertes
60 ml d’eau
¾ cuillerée à café de graines de coriandre
1 cuillerée à café de graines de fenouil
2 grosses gousses d’ail épluchées et hachées
1 cuillerée à café de piment de Cayenne
½ cuillerée à café de sel
1 cuillerée à soupe de menthe fraîche ciselée
1 tasse à café de coriandre frais ciselé

Coupez les prunes en deux et enlevez les noyaux. Placez-les dans une casserole avec l’eau et amenez à ébullition. Laissez frémir à couvert pendant quinze minutes (les prunes doivent ramollir). Dans un mortier, écrasez les graines de coriandre et de fenouil, l’ail, le piment et le sel jusqu’à obtenir une pâte homogène.
Quand les prunes sont ramollies, passez-les au mixer et placez-les dans une poêle. Amenez à ébullition et faites cuire à feu moyen pendant trois minutes en remuant. Mélangez avec la pâte d’épices et faites cuire cinq minutes environ, jusqu’à ce que le mélange épaississe légèrement. Ajoutez-y la menthe et le coriandre ciselés et ôtez du feu. Pour conserver la sauce, versez-la encore chaude dans un bocal. Fermez le bocal et placez-le au réfrigérateur.

 

 

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Rubrique : Istanbul

Il fut un temps où Beyoğlu, le quartier dit « européen » d’Istanbul, hébergeait une large population de Grecs, d’Arméniens et de Juifs sépharades. Aujourd’hui, les restaurants qui servaient les spécialités de ces cultures ont tous peu ou prou disparu. Et pourtant, dans une ruelle calme…

Le topik, vous connaissez ? Topik, ça signifie « boulette » en arménien. Les Arméniens d’Istanbul ont une recette fétiche, une recette qui a inspiré leurs poètes, le topik. Cette (grosse) boulette est préparée à partir d’une pâte de pois chiches, pommes de terre et tahini (la purée de sésame), farcie d’oignons sautés au cumin. Le tout est décoré de pignons de pin et saupoudré de cannelle. Manger du topik à Istanbul aujourd’hui, à moins de connaître une famille arménienne, est devenu un peu compliqué… sauf vous allez chez Mekan.

Mekan, un restaurant dans une ruelle donnant sur Istiklal Caddesi, les Champs-Élysées stambouliotes, est l’un des derniers lieux où goûter les recettes des anciennes minorités locales. Outre le topik, vous pourrez y déguster du patlıcan börek, le feuilleté à la purée d’aubergines fumées et au fromage, un incontournable de la Pâque juive à Istanbul.

Chez Mekan, il y a également d’excellentes spécialités turques, comme le foie frit aux griottes, parfumé à l’origan et au poivron séché, ou l’alinazik kebab, de petits cubes d’agneau sautés sur un lit de purée d’aubergines fumées, une spécialité de Gaziantep, une ville du sud de la Turquie proche de la frontière syrienne. Et des içli köfte, la version turque des kibbeh libanaises, les boulettes de boulgour croustillantes farcies de viande hachée épicée.

Mekan est également connu pour ses meze (les tapas orientales) et constitue une sorte d’exception dans le paysage culinaire d’Istanbul : un endroit où manger des meze ailleurs que dans le bruit et la fureur ! En effet, les meyhane stambouliotes, là où l’on mange des meze en buvant du rakı, sont souvent des gargotes bondées (ce qui peut être leur charme quand on est d’humeur) situées dans des rues bruyantes entièrement peuplées de ce type d’établissement. Mekan, c’est la meyhane calme et sereine, presque chic, où viennent les personnes qui n’ont plus l’âge ou le goût d’aller affronter les foules éméchées.

Compter 20 € par personne avec les boissons.
Ouvert de midi à 1h.

Eski Çiçekçi Sokak 3 – Beyoğlu – Istanbul
+ 90 212 252 6052

www.mekanrestaurant.com

 

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Rubrique : Fruits & dérivés, Istanbul

Parmi les fruits injustement négligés en France, le coing figure en bonne place. Au Moyen-Orient, le coing est un produit recherché et il est présent tout l’hiver sur les étalages. Parmi leurs multiples recettes de coing, les Turcs ont raffiné l’art de le confire pour en faire un dessert à se damner, l’ayva tatlısı.

Le coing est un fruit qui ne laisse pas faire… Pas comme ces pauvres pommes qui ne demandent qu’à finir en compote. Non non non, le coing est un costaud qui ne révèle ses charmes qu’à ceux qui savent le cuisiner longuement, lui faire cracher ses parfums et l’attendrir avec patience. Dans tout le Moyen-Orient, le coing est cuit à toutes les sauces : en ragoût, en tajine, en compote, farci à la viande et, en particulier en Turquie, confit longuement dans un sirop de sucre.

Cuisson dans un sirop léger, passage au four, puis recuisson dans un sirop plus épais (qui finira en gelée), l’ayva tatlısı (littéralement « dessert de coing », tout simplement) demande du travail. Mais le résultat vaut largement le labeur : des demi-coings parfaits, brillant de leur gelée, d’un rouge brun virant sur l’acajou, à la saveur complexe, fruitée et fleurie à la fois, et tendres comme du beurre.

Si de plus, comme les Turcs, vous les dégustez avec de la crème caillée très épaisse et dépourvue de toute acidité (du kaymak, obtenu en faisant longuement chauffer puis reposer du lait de bufflonne) alors c’est un monde nouveau qui s’ouvre à vos papilles. Soudain, votre patrimoine génétique, programmé depuis des millions d’années pour vous faire rechercher les aliments gras et sucrés, s’apaise et un sentiment de béatitude calorique vous envahit jusqu’au fond du pancréas.

Si vous passez par Istanbul de novembre à avril (la saison des coings) et que vous avez envie de succomber aux charmes de l’ayva tatlısı, une seule adresse : la pâtisserie Sakarya Tatlıcısı à deux pas du lycée Galatasaray, près du marché aux poissons de Beyoğlu. Dans ce paradis des gourmands, de gros coings confits nappés de leur gelée attendent la crème qui les magnifiera. Ce sont les meilleurs que nous ayons goûtés, moelleux à souhait et préparés sans le vilain colorant rouge qui défigure la plupart de leurs concurrents.

Dans cette pâtisserie ouverte depuis plus d’un demi-siècle, ne manquez pas non plus les yaprak dürüm (« rouleaux de feuilles ») : des cigares de pâte phyllo farcis d’un mélange de pistaches hachées et de kaymak, une variété rare de baklava toute en finesse et en fraîcheur qui vous fera couiner de plaisir.

Ouvert tous les jours de 6h à 22h.

Sakarya Tatlıcısı
Dudu Odaları
Sokak 3
Bal
ık Pazarı – Beyoğlu – Istanbul
+90 212 249 2469

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Rubrique : Istanbul

Un restaurant spécialisé dans le petit-déjeuner mais qui les sert jusqu’au soir, c’est une bonne idée, non ? Si, en plus, ce restaurant sélectionne des produits artisanaux venus tout droit des fermes d’Anatolie profonde, comment résister ? Les Doudes vous emmènent découvrir le pantagruélique petit-déjeuner kurde.

Dans les villes kurdes de l’est de l’Anatolie, il existe une tradition de salons de petit-déjeuner (« kahvaltı salonları », comme nous avons nos salons de thé) qui sont ouverts de jour comme de nuit. Oui, chez les Kurdes, le petit-déjeuner est une affaire sérieuse qui peut se passer en soirée… Avec l’exode rural, cette tradition a diffusé vers l’ouest du pays et, en particulier, à Istanbul où les kahvaltı salonları poussent comme des champignons après une pluie d’août. Ces établissements rivalisent entre eux en proposant des produits anatoliens « de la ferme » : fromages, miel, crème fraîche, yaourt, etc.

Pour les Doudes, il n’existe qu’UN kahvaltı salonu stambouliote digne de ce nom : Van Kahvaltı Evi, la Maison du Petit-Déjeuner de (la ville de) Van. Véritable quartier général matinal des Doudes, ce restaurant est tenu par une famille kurde et une petite armée de jeunes serveurs branchouilles que les Doudes ont affublés de surnoms totémiques : la Fouine, le Porc-Épic, etc.

À quoi ressemble un petit-déjeuner de Doudes chez Van Kahvaltı Evi ? Au centre de la table, une assiette variée avec quatre sortes de fromage, dont le très repoussant Van otlu peynir marbré d’herbe de prairie en saumure (pour les agricoles, imaginez du fromage à l’ensilage de ray-grass…), des tomates, des concombres, des olives vertes et noires, des œufs durs, du persil, de la confiture (fraise ou cerise) et un mélange de mélasse de jus de raisin (pekmez) et de pâte de sésame qui a exactement le goût… du beurre de cacahuète !

Autour, une corbeille débordant de toutes sortes de pains, du thé, du jus de fruits frais (un mélange grenade – orange, par exemple) et divers plats selon nos envies : le plus souvent, des œufs brouillés à la saucisse turque, avec ou sans tomates, et des gözlemeler, des sortes de crêpes croustillantes farcies de fromage, d’épinards, de champignons ou d’aubergines.

Mais le summum de cette débauche doudienne, c’est le bal-kaymak : une petite assiette de miel sauvage kurde (bal, avec des fragments de cire, à l’ancienne) et une petite assiette de crème fraîche épaisse et mousseuse comme on ne trouve qu’en Turquie (kaymak). Du pain tout chaud, une couche de miel, une couche de crème (sans la briser, merci) et c’est l’extase anatolienne…

Van Kahvaltı Evi est également connu pour son cacık (« djadjeuk », une salade de yaourt épais au concombre, ail et menthe) et pour son muturğa, une sorte de porridge servi avec des noix. Si vous passez dans le quartier de Cihangir entre 7h et 19h, tous les jours de la semaine, allez vous gaver chez Van Kahvaltı Evi. Foi de Doudes, ce sera l’une de vos plus authentiques expériences culinaires à Istanbul. Attention, les samedis et dimanches matin, queue assurée. En été, on peut déjeuner dehors.

Autour de 10€ par personne.

Defterdar Yokuşu 52/A – Cihangir – Istanbul
+90 212 293 6437

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Rubrique : Istanbul

Passage obligé de toute visite touristique d’Istanbul, le Bazar égyptien est, comme le Grand Bazar de cette même ville ou le souk de Marrakech, le type même du piège à touristes qui se nourrit de leurs fantasmes orientaux. Petite revue des choses auxquelles vous tenterez d’échapper dans cet antre mercantile…

Le Bazar égyptien, également appelé Bazar aux épices, a été construit à la fin du XVIIe siècle pour servir de source de revenus à la mosquée voisine, la désormais mal-nommée Nouvelle Mosquée (Yeni Camii). L’origine de son nom reste obscure : il semblerait que sa construction ait été financée par des taxes levées sur les marchandises en provenance d’Égypte. Encore aujourd’hui, les loyers de ses boutiques servent à entretenir la Nouvelle Mosquée.

Nul besoin d’être un routard tanné par l’aventure pour se rendre rapidement compte que le Bazar égyptien est un traquenard tendu aux touristes, sous forme de boutiques vendant toutes sortes d’épices, de fruits secs, de tisanes, de tissus, etc. Parmi ces miroirs aux alouettes se trouvent néanmoins quelques boutiques où vont parfois se ravitailler les autochtones, mais leur nombre diminue inexorablement.

Les Doudes vous recommandent en particulier de ne PAS acheter de tisanes dans le Bazar égyptien. Les Turcs sont très amateurs de tisanes et, dans n’importe quel supermarché, vous trouverez des tisanes de bonne qualité : sauge (adaçayı), orties (ısırganotu), fenouil (rezene), grenade (nar), etc. Au Bazar égyptien, vos yeux vont être irrésistiblement attirés par des tisanes de grenade, de mûres (d’arbre) et d’autres fleurs ou fruits. À moins d’avoir l’habitude de faire des tisanes avec les mélanges pour pots-pourris les plus agressifs, nous vous recommandons de vous abstenir…

Tout n’est pas forcément mauvais ou hors de prix au Bazar égyptien… à condition d’en sortir ! Le long du coté ouest du bâtiment (vers le Grand Bazar) se trouvent d’excellentes échoppes de produits anatoliens et, en particulier, de fromages comme le tulum. Les plus courageux essaieront l’otlu peynir, un fromage kurde mélangé d’herbe (de pâturage) saumurée qui devrait être mis en compétition avec le schabziger pour le titre mondial du fromage fatal. C’est également là que se trouve la maison-mère de la marque de café turc la plus connue, Kurukahveci Mehmet Efendi.

Le Bazar égyptien héberge deux restaurants situés dans de belles salles voûtées. Le plus ancien, Pandeli, est de l’avis général à éviter à tout prix pour son désastreux rapport qualité/prix et ses serveurs exécrables. Bab-i Hayat, récemment ouvert près de la porte Est, semble servir une nourriture décente pour un prix acceptable dans une ambiance sympathique. Les Doudes iront l’essayer un de ces jours, lorsqu’ils devront aller renouveler leurs provisions de shampooing à l’ail (idéal contre les vampires turcs, voir la photo en bas à droite, clic droit, « Afficher »).

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Rubrique : Boissons

Non, ce n’est pas la femme du clown… Verrrry funny ! La boza, c’est l’élixir énergétique des peuples turcophones, la boisson qui vous remet un janissaire en selle en plein cœur de l’hiver. Pour les palais novices, c’est une expérience gustative inédite, acide mais sucrée, crémeuse mais sans matière grasse.

La boza est une boisson fermentée traditionnelle d’Asie centrale que l’on retrouve aujourd’hui du Kirghizstan à la Serbie, sur les traces de l’Empire ottoman. Elle est particulièrement présente en Turquie où elle représente, avec le salep, l’un des plaisirs gustatifs de l’hiver. Même si les moyens modernes de réfrigération font que l’on en trouve désormais en été, la boza reste la boisson revigorante des frimas (avec un millier de calories par litre, elle peut l’être…) et des… femmes qui allaitent.

En Turquie, la boza est essentiellement fabriquée à partie de millet, les petites graines traditionnellement vendues pour les canaris… Après avoir été décortiquées, les graines de millet sont broyées, bouillies puis mises à refroidir dans de grands plats. Cette purée est ensuite filtrée, sucrée pendant le processus de fermentation et additionnée d’eau pour obtenir une consistance crémeuse (mais encore liquide).

Parce qu’elle est légèrement fermentée, la boza contient moins de 1 % d’alcool (mais certains producteurs en font sans alcool pour les musulmans pratiquants). D’une jolie couleur jaune poussin, la boza est légèrement acide mais cette première impression est rapidement atténuée par sa douceur. Fraîche, elle ne « pique » pas mais, après quelques jours, elle devient presque gazeuse (et n’est plus consommée). En Turquie, la boza est servie avec un soupçon de cannelle en poudre et des pois chiches grillés qui apportent une touche de croquant à l’affaire.

La boza n’est plus une boisson populaire parmi les jeunes générations turques. Si vous passez par Istanbul, ne manquez pas d’aller goûter de la boza de qualité dans la seule bozacısı (« débit de boza ») encore debout. Située dans le quartier de la Süleymaniye, la maison Vefa a été fondée en 1876 et continue d’être gérée par la famille des fondateurs. Avec son décor de bois blond et de faïences, et ses piliers couverts de miroirs à facettes, elle fait penser à l’enfant naturel d’un café portugais et d’une disco des années 1970.

Trouvez-y une place pour poser vos fesses, allez au comptoir chercher un verre de boza ultrafraîche (notez au passage les énormes seaux de marbre où est entreposée la boza) et laissez-vous aller à l’expérience de cette boisson d’un autre temps. Si vous souhaitez y jeter quelques pois chiches grillés, l’épicerie en face se fera un plaisir de vous en vendre dans un sachet de papier très vintage.

Ouvert tous les jours de 8 à 23 h – 1 € le verre.

Vefa Bozacısı
Katip Çelebi Caddesi 104/1 (mais le magasin est au début de Vefa Caddesi sur la gauche)
Vefa – Istanbul – Turquie
www.vefa.com.tr

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Rubrique : Istanbul

Peut-être vous demandez-vous pourquoi, ces temps-ci, le Festin prend ses aises et musarde au lieu de livrer ses deux articles hebdomadaires ? Les deux coupables sont un festival de danse contemporaine, iDANS, et une cantine stambouliote, Fıccın, qui accaparent l’œil doudien et laissent en plan la plume doudienne…

Une fois n’est pas coutume, le Festin doit révéler l’état de ses cuisines pour expliquer la lenteur du service. Figurez-vous que l’unité doudienne chargée des images, celle qui vit désormais à Istanbul (« Istanbul, pont entre l’Orient et l’Occident, blablabla… »), est professionnellement au cœur du mælström d’un festival de danse contemporaine, iDANS, qui dure tout au long du mois d’octobre.

Dans son bureau hanté de chats, dans les divers lieux de spectacle ou dans les rades travelotesques des bas-fonds stambouliotes, notre photographe attitré galope pour s’assurer que les artistes irano-norvégiens, libano-français ou turco-kazakhs sont bien accueillis, en quatre langues et demie. Sale temps pour les photos du Festin…

Mais tout aussi artistiques que soient son âme et son emploi du temps, notre héros doit néanmoins se sustenter de nourritures bassement terrestres. Et pour cela, soir après soir, une seule cantine, archiconnue des autochtones : Fıccın, l’un des meilleurs rapports qualité/prix de Beyoğlu, le quartier situé au nord de l’embouchure de la Corne d’Or.

Ce restaurant (en fait, trois succursales dans la même rue) a été ouvert en 1996 par Leyla Karakaynak, une Turque originaire de Circassie. D’où ??? Non, pas du chapiteau des Bouglione, mais de la Circassie, là où l’extrémité ouest de la chaîne du Caucase plonge dans la Mer Noire (aujourd’hui, la république d’Adyguée, nichée au sein du Kraï de Krasnodar, dans la fédération de Russie… ça fait rêver, non ?).

Durant toute le règne de l’Empire ottoman, la Circassie a fourni aux Sultans de très nombreuses épouses, ce qui permettait d’éviter que le trône puisse être revendiqué par d’autres familles turques que celle du Sultan. Outre ses femmes, réputées les plus belles de toute la région, la Circassie a également donné quelques spécialités culinaires à la Turquie. En particulier, le fıccın (prononcez « feudjdjeun »), une grande galette où de la viande hachée parfumée est fourrée entre deux fines couches d’une sorte de génoise salée.

Chez Fıccın, bien sûr, on trouve cette spécialité circassienne mais également une soupe au poulet (Tulen), du poulet à la circassienne (Çerkes tavuk) servi avec une sauce aux noix, ail et paprika, ou des mantı aux pommes de terre qui tiennent plus des pierogi russes ou polonais que des mantı habituellement servis en Turquie. Parfois, Fıccın propose du pourpier cuit à l’huile d’olive avec des tomates, de l’ail et du riz (Zeytinyagli semizotu).

Fıccın est un restaurant extrêmement populaire chez les Istanbullular qui travaillent dans le quartier. Avec des plats oscillant entre 4 et 7 €, une cuisine savoureuse et un accueil chaleureux, Fıccın est une bénédiction pour les locaux comme pour les touristes.

Environ 10 € par personne.
Ouvert tous les jours de 7h à 21h.

Kallavi Sokak 13/1 – 7/1 (sur Istiklal, en face de l’église St Antoine de Padoue) Beyoğlu – Istanbul
+90 (212) 293 37 86

www.ficcin.com
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Rubrique : Légumes

Chez nous, lorsqu’on pense « boulette », on pense souvent « viande ». Mais au Moyen-Orient, les boulettes (« köfte ») sont préparées avec toutes sortes de choses. Il existe de nombreux exemples de boulettes végétariennes, voire végétaliennes, comme ces boulettes de lentilles turques préparées à la belle saison.

Dans la cuisine turque, les lentilles (« mercimek ») sont largement utilisées comme source de protéines bon marché. En soupe, en salade ou en boulettes… Vertes, brunes ou corail, les lentilles et autres légumineuses sont très populaires. Voici une recette facile à faire, idéale pour amuser les enfants tant dans sa préparation que dans sa consommation : jamais leurs petites mains n’auront autant travaillé !

Alors sortez les tabliers et organisez un grand atelier köfte ! Et si le jeu vous plaît, allez donc suivre une formation en boulettologie chez les pataphysiciens de la köfte…

Pour six personnes (une trentaine de köfte)

  • 250 g de lentilles corail
  • 200 g de bulgur fin (dit « bulgur à köfte* »)
  • une cuillerée et demi de concentré de tomates
  • une demi-cuillerée de harissa (facultatif)
  • une demi-botte d’oignons verts (ou les feuilles d’oignons blancs frais) hachés menu
  • une botte de persil plat ciselé
  • une douzaine de feuilles de menthe fraîche ciselées
  • une gousse d’ail hachée menu
  • une cuillerée à café de poudre de paprika
  • une demi-cuillerée à café de cumin en poudre
  • 4 cuillerées à soupe d’huile d’olive
  • un citron, des feuilles de laitue et des feuilles de roquette
  • sel, poivre

Lavez les lentilles et placez-les dans quatre verres d’eau froide. À l’ébullition, écumez et réduisez le feu pour les faire cuire doucement (environ quinze minutes). Elles doivent se transformer en une crème lisse (rajoutez de l’eau si ce n’est pas assez liquide).
Dans un grand saladier, mélangez le bulgur et la crème de lentilles. Laissez reposer une demi-heure. Pendant ce temps, mélangez le concentré de tomates, la harissa, l’huile d’olive, le paprika, le cumin, le sel et le poivre. Après une demi-heure, malaxez le bulgur avec ce mélange. Ajoutez le persil et la menthe, malaxez de nouveau. Enfin, ajoutez l’ail et l’oignon vert et malaxez, malaxez, malaxez avec vos petites mains en ajustant l’assaisonnement si nécessaire.
Avec les mains (oui, c’est une recette très sensuelle), pétrissez des boulettes oblongues de la taille d’une crotte de cani… euh… d’une grosse noix ! Servez-les avec les feuilles de laitue, la roquette et le citron en quartiers : une köfte, un jet de citron, une feuille de roquette et on emballe le tout dans une feuille de laitue. Miam !

* disponible dans toutes les épiceries orientales, par exemple Mervan ou Les délices d’Orient.

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Rubrique : Desserts & sucreries

Vous pensez avoir tout vu en matière de pâtisserie ? Un dessert nommé « Blanc de poulet », vous connaissez ? Non content d’en avoir le nom et la forme, le tavuk göğsü est préparé AVEC du blanc du poulet… Vous sentez la nausée monter ? Allez, un peu de courage et laissez donc cette gourmandise ottomane vous fondre dans la bouche.

Le tavuk göğsü («tavuk», le poulet, «göğsü», la poitrine) est l’un des desserts les plus populaires en Turquie. Cet étrange objet culinaire fait partie des spécialités locales depuis l’époque ottomane. Comme de nombreux plats de cette époque, une légende est associée au tavuk göğsü. Une nuit, le Sultan aurait eu un petit creux pour quelque chose de sucré et d’original. Dans les gigantesques cuisines impériales de Topkapı, les chefs de quart paniquèrent car il ne restait pas grand-chose comme ingrédients pour préparer une pâtisserie. Un cuisinier, avisant des restes de poulet, aurait eu l’idée de se servir des fibres du blanc pour créer un dessert d’une texture inhabituelle.

La réalité est plus prosaïque et il semblerait que le tavuk göğsü soit issu d’un dessert italien du XVIIe ou XVIIIe siècle, importé et adapté à la cour du Sultan. Certains spécialistes font même remonter le tavuk göğsü à un dessert de l’Antiquité romaine. Légende ou pas, ne passez pas en Turquie, et en particulier à Istanbul, sans goûter au tavuk göğsü. Ou mieux encore, préparez-le chez vous selon la recette ci-dessous, et faites-le découvrir à vos amis en ne leur révélant l’ingrédient secret qu’après coup. Grimaces et cris garantis !

Vous pourrez ensuite philosopher sur le pourquoi de cette réaction instinctive, alors que personne ne trouve à redire au blanc de poulet dans les plats salés. Du poids des habitudes et des conventions dans l’alimentation…

Pour 6-8 personnes :

  • 200-250 g de blanc de poulet cru
  • 5 cuillerées à soupe de farine de riz
  • 3 cuillerées à soupe de farine de maïs
  • 1 litre de lait
  • 300 g en sucre en poudre
  • cannelle en poudre
  • sel

Lavez bien le blanc de poulet sous le robinet et faites-le blanchir cinq minutes dans de l’eau bouillante. Plongez-le dans l’eau froide, puis coupez-le en dés. Avec les doigts, séparez soigneusement les fibres du blanc en éliminant tout morceau qui refuse de s’effilocher (la patience est de mise…). Placez les fibres dans de l’eau tiède.
Prenez une petite poignée de fibres, faites-les rouler entre vos paumes pour les essorer et mettez-les à tremper dans un bol d’eau tiède propre. Recommencez avec le reste des fibres. Cette opération (roulage, essorage, trempage dans de l’eau propre) doit être renouvelée jusqu’à ce que toute odeur de poulet ait disparu. Laissez ensuite les fibres tremper dans de l’eau chaude.
Mélangez les deux farines avec 125 ml d’eau froide. Faites bouillir le lait avec le sucre et une pincée de sel, puis incorporez-y lentement le mélange de farines. Laissez cuire trente minutes à feu moyen, en remuant sans interruption (oui, sans interruption…), jusqu’à obtenir une crème épaisse.
Essorez les fibres de poulet en les pressant avec la main et mélangez-les progressivement à la crème jusqu’à ce que le mélange soit bien homogène et commence à bouillir. Baissez le feu et laissez cuire doucement pendant quinze minutes, en remuant de temps en temps. Placez le mélange dans un plat de service ou dans des ramequins pour lui donner une forme évoquant… un blanc de poulet. Laissez refroidir le tavuk göğsü au moins douze heures. Servez saupoudré de cannelle.

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