Rubrique : Légumes

Lorsque le printemps arrive, les étals méditerranéens voient revenir certains légumes attendus avec impatience tout au long de l’hiver. Parmi ces messagers de la belle saison, les artichauts violets font partie des préférés. Crus ou cuits, les Méditerranéens les consomment en grande quantité, tant pour leur goût que pour leurs vertus dépuratives.

Les artichauts violets, également appelés poivrades, sont de petits artichauts au cœur tendre mais aux « feuilles » (en fait les bractées de la future fleur) parfois ornées d’un piquant acéré comme dans le cas des artichauts sardes, les plus tendres mais les plus agressifs pour le cuisinier. Joli symbole printanier que cette consommation de gros boutons floraux !

Comme tous les artichauts, les violets sont riches en substances qui favorisent le bon fonctionnement du foie. Au sortir de l’hiver, notre corps semble demander ces substances dépuratives : la bile s’élimine et la bonne humeur revient ! Les artichauts violets peuvent être consommés cuits selon mille et une recettes, ou crus, à la croque-au-sel. Dans ce cas, si vous finissez votre festin avec des dents aussi noires que celles d’une geisha, pas de souci, un jus de citron vous rendra votre sourire étincelant.

Pour fêter la saison des poivrades, nous aurions pu vous proposer une jardinière de légumes de printemps (artichauts, petits oignons blancs, fèves et petits pois frais, patates nouvelles, pois gourmands et cœurs de laitue, sur un fond de petit-salé). Mais, pour faire honneur à la Provence natale des Doudes, nous sommes allés chercher LA recette typique dans le Reboul, la Bible de la cuisine provençale depuis 113 ans : les artichauts à la barigoule !

Pour information, les barigoules étaient des champignons qui ont disparu de Provence au XVIIIe siècle et qui servaient, entre autres, à faire une farce pour les artichauts. La barigoule n’est donc plus qu’un fantôme dans un nom de plat.

Artichauts à la barigoule

Pour huit artichauts violets moyens

« Préparez vos artichauts en enlevant seulement quelques feuilles autour et en coupant un peu le bout des autres. Mettez quelques cuillerées à soupe d’huile dans une casserole avec un oignon haché et deux carottes coupées en très petits dés. Mettez les artichauts dessus, les feuilles tournées en haut, assaisonnez de sel et de poivre, arrosez d’huile, couvrez la casserole et faites partir sur le feu. Remuez de temps en temps.
Lorsque l’oignon et la carotte commencent à roussir, mouillez avec un verre de vin blanc que vous ferez réduire de moitié. Ajoutez deux gousses d’ail, quelques cuillerées à soupe d’eau et laissez cuire à couvert et à petit feu. Servez les artichauts en versant la sauce dessus. »

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Rubrique : Épices, condiments & herbes

Certains aliments tracent une ligne mystérieuse et infranchissable entre ceux qui les adorent et ceux qui préfèreraient repartir le ventre vide plutôt que les consommer. Les feuilles de coriandre fraîche font partie de ces aliments qui révulsent une minorité de gastronomes. Mais pourquoi tant de haine ? Les Doudes sont parties enquêter.

La coriandre (Coriandrum sativum, parfois appelée « persil arabe ») est une plante originaire du Proche-Orient. Elle est consommée sous forme de graines (habituellement bien tolérées) ou sous la forme de feuilles fraîches au parfum prononcé. Les détracteurs de la coriandre fraîche (qui ont leur groupe sur Facebook et qui vénèrent Julia Childs, grande pourfendeuse de coriandre devant le Grand Cuisinier Éternel) comparent ses saveurs à deux éléments peu compatibles avec la cuisine : le savon et… les punaises, ces insectes qui, agressés, émettent une substance à l’odeur épouvantable.

Dans leurs critiques, les anti-coriandre n’ont pas tort : la saveur particulière de la coriandre fraîche est due à une famille de substances, les aldéhydes, qui se retrouvent dans les savons et dans les sécrétions des punaises. Les aldéhydes sont également à l’origine de l’odeur musquée des melons cantaloup trop mûrs (« Pouah, il a le goût de la punaise ! » s’écrie chaque été la mère d’une des Doudes qui, chaque fois, se demande à quel moment de sa vie sa mère a bien pu manger des punaises…). Mais pourquoi certains d’entre nous sont-ils réfractaires à ces aldéhydes ?

On soupçonne deux origines à ce rejet violent. Une cause génétique qui serait associée à une plus grande sensibilité à ce type de substances (au détriment des autres saveurs de la coriandre fraîche) et une cause liée à l’expérience. En effet, lorsque nous faisons l’expérience d’une saveur nouvelle, notre cerveau cherche immédiatement à la comparer à des saveurs déjà connues. Ceux dont l’alimentation habituelle ne contient pas de coriandre fraîche vont associer le parfum des aldéhydes à d’autres souvenirs, savonneux ou punaiseux !

Que faire lorsqu’on fait partie des anti-coriandre et que l’on voyage dans un pays où cette plante est largement utilisée (le Portugal, l’Asie du Sud-est, l’Amérique du Sud, par exemple) ? Eh bien, une seule solution : déconditionner le cerveau et lui apprendre à associer les aldéhydes à des nourritures agréables. Pour cela, il suffit de hacher menu la coriandre fraîche et de la laisser reposer. Les enzymes contenues dans les cellules vont lentement digérer les aldéhydes et la coriandre, devenue douce comme une feuille de basilic, deviendra plus acceptable. Petit à petit, il suffira de réduire le temps de digestion enzymatique pour éduquer progressivement le cerveau à accepter la saveur forte et riche des feuilles de coriandre dans une açorda lisboète ou une salade de halloumi grillé.

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Rubrique : Légumes

Avec le printemps reviennent les sempiternelles asperges, fibreuses, bourrées d’eau et qui nous révèlent chaque fois la rapidité avec laquelle les composants d’un aliment ingéré se retrouvent dans notre urine… Mais cette année, grâce aux Doudes, vous allez échapper à l’ennui aspergien et ses conséquences olfactives. Nous vous proposons deux recettes originales et le moyen d’embaumer votre cagadou.

Tout d’abord, à bas les asperges à l’eau ou à la vapeur, et que vivent les asperges en papillote géante. Pour des asperges cuites à point, tendres mais pas molles, souples mais pas spongieuses, investissez dans un rouleau de papier sulfurisé. Nettoyez les asperges (nous, on préfère les vertes dont il suffit de tronçonner la base) et placez-les sur une longueur de papier sulfurisé égale à un peu plus de deux fois la longueur des asperges.
Là, place à l’imagination : assaisonnez vos asperges d’un peu d’huile d’olive et de sel, d’herbes (thym, estragon, romarin, etc.) et de ce qui vous tente : champignons, jambon cru, petit salé… selon ce qui tombe quand vous secouez le frigo. Repliez le papier sur les asperges et agrafez ou ficelez le paquet de manière à le rendre étanche. Placez dans le four préchauffé à 100°C et laissez cuire doucement pendant 60 à 90 minutes selon l’épaisseur des asperges. Faciiiile…

Sinon, pour changer un peu, pourquoi ne pas préparer un pesto d’asperges ? Il suffit de prendre 400 grammes d’asperges en tronçons de cinq centimètres et de les faire cuire dans de l’eau bouillante salée pendant huit à dix minutes (tendres mais pas molles). Pour une belle couleur de pesto, choisissez des asperges vertes.
Égouttez les asperges en gardant un verre d’eau de cuisson. Lorsqu’elles sont tièdes, placez les asperges dans un bol mixeur avec une gousse d’ail, un petit verre de pignons de pin grillés, deux cuillerées à soupe d’huile d’olive, un verre de parmesan râpé, un peu de sel et la moitié de l’eau de cuisson mise de côté.
Mixez le tout en décollant ce qui adhère aux parois et ajoutez progressivement un peu d’huile d’olive et d’eau de cuisson jusqu’à obtenir une belle pâte. Ajoutez le jus d’un demi citron et du poivre avant de donner un dernier coup de mixeur. Ce pesto d’asperges peut servir à parfumer des pâtes, du poisson, du poulet, etc. Il se garde une journée au réfrigérateur.

Et le cagadou, pensez-vous ? C’est le plus facile. Achetez un petit flacon d’essence de térébenthine et posez-le dans vos toilettes. Quand vous ou vos invités irez soulager un besoin naturel, il suffira de verser au préalable quelques gouttes d’essence de térébenthine dans la cuvette pour que, en lieu et place d’une vilaine odeur de pipi d’asperge, s’élève un délicieux parfum de violette. Miracle de la chimie…

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Rubrique : Légumes, Riz

Au nom de tous ceux qui adorent la saveur amère, rendons hommage au radicchio italien aux feuilles d’un beau rouge vineux marbré de blanc. Amer à souhait, le radicchio (ou trévise) est un ingrédient précieux pour donner vigueur aux risotti, aux pâtes ou à la pizza. Gloire à son Altesse la Reine des Chicorées !

Le radicchio (ou trévise ou chioggia, Cichorium intybus) est une chicorée typique de la région de Venise. Sa belle couleur provient d’une technique de culture particulière, le blanchiment. Nés dans les champs et encore de couleur verte, les petits radicchi sont déterrés à l’automne, débarrassés de leurs feuilles extérieures et serrés verticalement dans des cages en grillage placées à l’obscurité. La partie inférieure de ces cages (où se trouvent les racines mises à nu) baigne en permanence dans une eau courante.

Après quelques semaines, les feuilles au cœur des radicchi prennent leur couleur bordeaux et leurs nervures deviennent blanches. Plus foncé le rouge, plus délicieusement amer le radicchio. Les radicchi sont alors libérés de leur cage, nettoyés de leurs feuilles extérieures, leur racine est coupée en laissant un petit trognon (qui se consomme comme un radis) et ils partent pour le marché.

Il existe plusieurs variétés de radicchio : par exemple, les Rouge de Trévise précoce et tardive, la Bigarrée de Castelfranco, la Rouge de Chioggia ou la Rouge de Vérone. Les deux premières variétés bénéficient d’une IGP (l’AOC européenne). Le radicchio est utilisé en Italie depuis l’Antiquité où il a la réputation de faciliter la digestion et de tonifier l’organisme par son amertume (la saveur amère stimule la sécrétion des sucs digestifs et de la bile).

En cuisine, il existe mille façons d’accommoder la trévise : crue en salade ou garnie en apéritif (comme les feuilles d’endive), sautée en tant qu’accompagnement (de nouveau comme les endives) ou dans comme ingrédient dans un plat ou sur une pizza. Voici une recette de risotto au radicchio.

Risotto des râleurs (Risotto per i malcontenti)

Pour 4 personnes

  • 400 g de riz à risotto (Arborio, Carnaroli, Vialone Nano)
  • 200 g de radicchio de Trévise
  • un demi-verre de parseman râpé
  • un petit oignon finement haché
  • le jus d’un citron et demi et le zeste d’un citron
  • 150 g de beurre dont la moitié coupée en gros dés et congelée à l’avance
  • 2 litres de bouillon de poule ou de veau ou de légumes, bien chaud
  • sel et poivre

Lavez et essorez le radicchio, coupez-le en lanières pas trop fines. Faites revenir l’oignon dans la moitié du beurre non congelée. Lorsque l’oignon est blond, ajoutez le radicchio et faites-le revenir cinq minutes.

Ajoutez le riz, faites-le revenir une minute en remuant sans arrêt puis ajoutez le jus de citron tout en continuant à remuer. Quand le jus est évaporé, ajoutez une louche de bouillon et remuez jusqu’à ce qu’il soit absorbé. Recommencez, une louche de bouillon à la fois, sans cesser de remuer, pendant vingt minutes. À mi-parcours, ajoutez sel, poivre et le zeste. Quand le riz est al dente, retirez du feu, posez les dés de beurre congelé sur le risotto, saupoudrez avec le parmesan et brassez doucement le risotto avec une cuillère en bois (idéalement percée d’un trou au milieu). Dès que le beurre est fondu, couvrez une minute et servez.

Pourquoi ce risotto est-il destiné aux râleurs ? Probablement parce que la mauvaise humeur était considérée comme le symptôme de l’accumulation de bile (« Le misanthrope ou l’atrabilaire amoureux », ça ne vous rappelle rien ?) et que le radicchio stimule la sécrétion de bile dans l’intestin. CQFD.

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Rubrique : Épices, condiments & herbes, Produits de la mer

Comme tous les Provençaux, les Doudes vénèrent la pâte d’anchois, humble fille du très illustre garum des Romains et sœur des délicieux pissalat niçois et mélets martégaux. Grâce à sa richesse en acides aminés, dont le glutamate, la pâte d’anchois est le secret d’une cuisine savoureuse. N’hésitez pas à en user et à en abuser !

Il y a environ 4.000 ans, les Babyloniens connaissaient déjà les vertus gustatives des poissons salés fermentés. Ils en faisaient un condiment, le siqqu. Les Grecs l’ont probablement adopté et adapté sous le nom de garos, puis les Romains en ont fait leur garum (également appelé liquamen ou, sous sa forme pâteuse, hallex). On retrouve également ce type de condiment en Asie : nuoc nam vietnamien, nam pla thaïlandais, patis philippin, etc.

Le principe de ces condiments est toujours le même : des poissons (anchois, sardine, maquereau, thon, etc.) ou les viscères de ces poissons sont mis à fermenter dans le sel. Sous l’action des enzymes et des micro-organismes présents dans les intestins, le mélange s’autodigère. La pâte obtenue peut être utilisée telle quelle ou continuer à fermenter pour devenir liquide. Le résultat est un condiment riche en acides aminés, dont certains (acide glutamique, acide aspartique, alanine, etc.) ont la propriété d’amplifier les saveurs des plats qui les contiennent (c’est l’effet « umami », également obtenu avec du shōyu ou du parmesan).

En Provence et sur la Côte d’Azur, il subsiste divers descendants du garum : à Nice, le pissalat qui est une pâte faite à partir d’alevins de sardines (joliment appelés « poutine », mais aucun rapport avec le plat québécois) saumurés, fermentés et parfumés aux épices ; à Martigues, les mélets sont des alevins (d’anchois ? de melettes ?) préparés de la même manière et parfumés au fenouil et au poivre. Mais ces produits étant assez difficiles à trouver, la plupart des Provençaux se contentent de pâte d’anchois, moins goûteuse mais plus pratique.

Et que font les Doudes avec la pâte d’anchois ? Le plus souvent, elles font le quichet ! Le quichet, c’est de la pâte d’anchois diluée dans l’huile d’olive. On s’en sert pour faire une tartine ou comme vinaigrette pour une salade. Sur le même principe, diluée dans de l’huile d’olive maintenue chaude, la pâte d’anchois entre, avec l’ail et le lait, dans la préparation de la banha cauda provençale et piémontaise où l’on trempe des légumes crus taillés en bâtonnets.

Il existe mille autres manières d’utiliser la pâte d’anchois pour augmenter les saveurs d’un plat. Essayez le gigot d’agneau tartiné de quichet à l’ail : vous nous en direz des nouvelles ! Les cardons peuvent également se préparer avec de la pâte d’anchois. Mettez-en partout : la pâte d’anchois, c’est l’ingrédient mystérieux qui fera se pâmer vos convives ! Elle est assez difficile à trouver dans le nord de la France. Deux solutions : l’achat en ligne (par exemple, ici) ou bien la fabrication maison à partir d’anchois salés réduits en purée.

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Rubrique : Épices, condiments & herbes

Le safran ? Mais n’est-ce pas un sujet abondamment battu et rebattu ? Que reste-t-il à savoir sur le safran ? C’est ce que nous pensions aussi, jusqu’à ce qu’un petit ouvrage croise notre chemin et nous révèle que nous étions safranignares… Voici donc une astuce pour profiter au maximum de l’or rouge.

Petit rappel des bases : le safran est composé des stigmates séchés d’un crocus d’automne, Crocus sativa (les stigmates sont les extrémités du pistil). Il est utilisé depuis l’Antiquité pour parfumer des plats ou colorer des textiles. Selon l’indispensable Dictionnaire de Cuisine d’Alexandre Dumas, les Romains l’employaient pour parfumer leurs théâtres.

Autrefois, le safran était abondamment cultivé en Provence et dans le Gâtinais. Sa culture a périclité et 95 % du safran est aujourd’hui produit dans la province du Khorassan, en Iran. En France, on assiste à un renouveau et des safranières se sont récemment développées, qui permettent d’acheter du safran dont la pureté est garantie (ce qui, disons-le net, n’est quasiment jamais le cas du safran du commerce coupé avec toutes sortes de choses…).

Tout cela n’est guère nouveau. Mais saviez-vous que, pour parfumer un plat, le safran sec (en stigmates ou en poudre) doit tout d’abord infuser ? En effet, le safran sec contient une substance amère, la picrocrocine, qui, en présence d’eau, se transforme en safranal, une substance plus parfumée qui donne au safran toute sa valeur gustative. Sans cette période d’infusion, le safran ne révèle qu’une fraction infime de ses capacités.

Cette transformation chimique demande du temps et se déroule plus facilement en milieu légèrement acide. Pour cette raison, le cuisinier bien informé fait d’abord infuser son safran dans un peu d’eau citronnée ou vinaigrée, de vin blanc, de jus de fruit, de bouillon de cuisson, de yaourt ou de lait, etc. La durée de l’infusion varie selon la température du liquide : une heure pour un liquide chaud, douze heures à température ambiante.

Pour éviter de devoir penser à préparer son safran une demi-journée avant de se mettre aux fourneaux, il est possible de laisser infuser une quantité plus importante de safran, puis de conditionner le liquide dans un bac à glaçons : il suffira de prélever un glaçon et de l’ajouter en fin de cuisson (le safran n’aime ni l’ébullition, ni la friture). Pour doser cette préparation, c’est facile : il suffit que chaque glaçon contienne l’équivalent de 0,1 gramme de safran (45 stigmates), soit la dose pour un plat pour quatre personnes. À vous les règles de trois pour calculer le volume de liquide et les dixièmes de gramme de safran, selon la taille de vos glaçons !

Pour en savoir beaucoup plus sur le safran, un petit livre fort bien fait : Le safran de Pierre Aucante, Éditions Actes Sud.
Et pour acheter du safran frrrrrrançais :
La safranière de la Font Saint Blaise.

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Rubrique : Fromages

Vous pensez que la France est le pays des fromages qui puent ? Révisez votre jugement et découvrez le schabziger, la boule puante des fromages faisandés made in Switzerland. Cette spécialité ancestrale pourrait justifier l’invasion de la Suisse alémanique pour nous avoir dissimulé une arme de destruction massive…

Dans le centre-est de la Suisse, il y a le canton de Glaris (Glarus en Schwiizertüütsch). Et dans la ville de Glaris, il y a la société Geska AG qui fabrique un fromage mythique, le schabziger. Présenté sous la forme d’un élégant cône vert amande, le schabziger est préparé à partir de lait de vache écrémé, chauffé et additionné de ferment lactique acide. Une fois égoutté, le fromage obtenu (le sérac) est mûri de un à trois mois, malaxé, salé et placé en silos pour trois à huit mois.

Ensuite, et c’est là le secret du schabziger, on y ajoute de la trigonelle bleue séchée (Trigonella caerulae ou Ziger-Klee), une sorte de mélilot rapportée du Moyen-Orient par les Croisés et populaire au Moyen-Âge pour parfumer les plats. Cette plante va lui donner son joli teint vert pâle et sa saveur fatale. Car, même selon son fabricant, le schabziger divise le monde en ceux qui aiment (dans le canton de Glaris) et les autres…

Tout juste sorti du réfrigérateur, le schabziger dégage un parfum certes intense mais pas forcément rebutant : une forte odeur de foin fraîchement coupé et de fromage oublié dans un placard depuis le siècle dernier. Un récent article dans la Tribune de Genève faisait référence à des vestiaires après le match, mais cela nous paraît injuste. Sauf si toute l’équipe souffrait de mycose des pieds.

Mais là où le schabziger déploie toute sa puissance, c’est dans la cuisine. Il s’utilise râpé, probablement pour ne pas dépasser la dose mortelle, comme pour la muscade ou la fève tonka. Il existe même un moulin spécialement dessiné pour lui, sans nul doute en kryptonite. Le schabziger est donc plutôt un condiment, employé froid (pour des salades, par exemple) ou chaud (sur des pâtes, des pommes de terre, des soupes, etc.).

Les Doudes l’ont essayé sur des pâtes au beurre, tout simplement. Qui ont tout simplement fini dans la poubelle. Si le schabziger s’enorgueillit d’être resté identique depuis 1463 (où une loi en a fixé les caractéristiques), les Doudes soupçonnent que cette incroyable constance résulte plutôt du fait que tous les schabziger vendus depuis ont été fabriqués cette année-là… En tout cas, son goût en témoigne qui semble provenir tout droit du Moyen-Âge le plus obscur.

Pour ceux qui en ont assez de la vie, le fabricant a mis en ligne un site entièrement consacré au schabziger où il est possible de commander la bête (nul permis n’est requis) et qui propose de nombreuses recettes. La Suisse, patrie du droit de mourir dans la dignité fromagère…

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Rubrique : Épices, condiments & herbes

Qui dit Japon dit cerisier, la fleur nationale de ce pays. Nous avons tous en tête des images de cerisiers en fleur sous lesquels pique-niquent des familles japonaises. Pour faire durer le plaisir de ce moment éphémère, les cuisinières nippones conservent les fleurs de cerisier dans le sel. Celles-ci permettent ensuite de préparer du riz parfumé, de la tisane, des gâteaux ou des glaces.

fleurs de cerisier salées

Pour les bouddhistes, la fleur de cerisier est le symbole de la fragilité et de l’impermanence des choses. Sa brève floraison évoque notre courte vie, et sa chute le détachement du sage vis-à-vis des choses de ce monde. Lorsque les cerisiers se couvrent de boutons, les gourmets japonais les récoltent et les placent dans le sel pendant deux jours. Puis ces boutons sont mis à tremper dans du vinaigre salé pendant cinq jours, égouttés et séchés à l’ombre pendant 48 heures. Ensuite, ils sont légèrement salés de nouveau et conditionnés dans de petits pots.

Ces fleurs salées sont appelées shiozakura (塩桜) ou sakura-no-shiozuke (桜の塩漬け). Elles ont de très nombreux usages dans la cuisine japonaise. Par exemple, en infusant une fleur dans une grande tasse d’eau bouillante, on obtient du sakurayu (eau de cerisier). Légèrement salée, avec un parfum intense entre la cerise et la prune, cette tisane est servie lors des fiancailles et des mariages. En effet, dans ces circonstances, le thé est considéré de mauvaise augure : en japonais, l’expression « se transformer en thé » est l’équivalent de notre « partir en eau de boudin » !

Associé à des feuilles de cerisier en saumure, le shiozakura permet également de préparer un délicieux riz au goût de cerisier (sakuragohan). Des fleurs et des feuilles (respectivement 7 et 5 par verre de riz cru) sont hachées menu et posées sur le riz dès que celui-ci est cuit. L’ensemble est couvert hermétiquement et laissé tel quel pendant un quart d’heure (le riz continue de cuire dans la vapeur parfumée). Au moment de servir, le riz, les fleurs et les feuilles sont délicatement mélangés avec quelques cuillerées à café de graines de sésame grillées.

Le shiozakura est également utilisé pour préparer et décorer les sakuramochi, ces gâteaux typiques du mois de mars et de la fête d’Hina matsuri (la Fête des Poupées ou Fête des petites filles, le 3 mars). Ce mois-là, certains glaciers japonais proposent également de la glace sucrée-salée au shiozakura.

En France, on trouve les fleurs de cerisier salées dans les épiceries japonaises (les Doudes achètent les leur chez Workshop Issé).

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Rubrique : Épices, condiments & herbes

Vous pensez connaître l’huile de pépins de courge, mais connaissez-vous celle de Styrie ? Cette province du sud-est de l’Autriche est célèbre pour ses potirons à huile dont les pépins produisent une huile à l’aspect et au goût uniques. Depuis quelques années, la Steirisches Kürbiskernöl a séduit les plus grands chefs.

Produite essentiellement en Autriche et en Slovénie voisine, la Kürbiskernöl est issue des pépins d’une espèce particulière de citrouille (Cucurbita pepo var. styriaca) qui, au XIXe siècle, a subi une mutation : ses pépins vert foncé n’ont pas de coque. Ces potirons jaune-orangé pèsent de 8 à 10 kg et n’ont guère de chair. À l’automne, ils sont récoltés et vidés. Les pépins vert foncé sont lavés, grillés à 50°C et séchés. Tout au long de l’hiver, ils sont pressés pour obtenir l’huile : il faut environ 3 kg de pépins pour produire un litre de Kürbiskernöl.

L’huile de pépins de courge de Styrie est connue des chercheurs en optique pour son dichromatisme : sa couleur change selon l’épaisseur de l’échantillon observé. Une couche d’huile de moins de 0,7 mm apparaît vert vif ; plus épaisse, elle est d’un rouge presque noir. Chez soi, ce phénomène est observable au fond d’un saladier : l’huile paraît rouge foncé, sauf sur ses marges où elle est d’un beau vert profond. Très riche en vitamine E et en acides gras essentiels, en particulier en acide linoléique, la Kürbiskernöl a montré une certaine efficacité pour soulager les symptômes de l’hyperplasie bénigne de la prostate. Autrefois, elle était utilisée comme vermifuge contre les ténias.

Dans la cuisine, la Kürbiskernöl s’utilise de mille façons mais elle ne doit jamais être chauffée sous peine de devenir amère. Elle a la particularité d’avoir un goût de noisettes et de cacahuètes grillées, intense, chaud, presque sucré. Lorsqu’on l’utilise, impossible de résister à la tentation d’y plonger un doigt pour la goûter pure ! L’huile de pépins de courge de Styrie est parfaite pour les vinaigrettes (avec du vinaigre de cidre et un peu de miel), dans les soupes (directement dans l’assiette), sur les pâtes, les pommes de terre vapeur et autres légumes chauds, les œufs brouillés, le carpaccio de bœuf, les fromages de chèvre ou de brebis, et même… les glaces : quelques gouttes sur une boule de glace à la vanille, à la pistache, au praliné… et vous ne pourrez plus vous en passer !

En Styrie, seulement 70 moulins commerciaux produisent de la Kürbiskernöl. De ce fait, elle est chère et les imitations font florès. Si vous en achetez, vérifiez que la bouteille porte le sceau indiquant l’AOP (l’AOC européenne) et la mention « Echtes Steirisches Kürbiskernöl ». Si, comme nous, vous avez dans vos relations un très gentil Autrichien, peut-être aurez-vous la chance de goûter cette huile dans sa version artisanale… Sinon, elle peut s’acheter en ligne (par exemple, ou ).

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Rubrique : Épices, condiments & herbes

Comment prendre soin de ses tripes lorsque l’on aime goûter aux spécialités les plus exotiques ? Contre l’indigestion et autres soucis digestifs, les Doudes ont un secret qui leur a été donné par un sage du sud de l’Inde : les graines d’ajowan. Cette plante médicinale et aromatique sert également à parfumer féculents, légumes et poissons.

L’ajowan (Trachyspermum ammo, également appelé ajwain, ajmo, omam, etc.) est une plante de la famille du cumin, du carvi, de l’anis et du fenouil, mais ses graines (en fait, ses fruits séchés) ont un fort parfum de thym ou d’origan. Utilisé de l’Égypte à l’Inde, l’ajowan est réputé pour ses propriétés digestives, pour soulager l’indigestion, les maux d’estomac et les flatulences (such a problem!). Dans cette indication, son mode d’emploi est particulièrement pratique en voyage : nul besoin d’eau bouillante, il suffit de mâcher l’équivalent d’une petite cuillerée à café de graines additionnées d’une pincée de sel (avec un peu de jus de citron, c’est encore mieux mais facultatif). Attention, la manœuvre secoue rudement les papilles, mais c’est le prix à payer pour un soulagement quasi-immédiat !

Les graines d’ajowan sont riches en thymol, un excellent antiseptique. Broyées dans un peu d’eau chaude, elles sont utilisées sous forme de cataplasme contre les infections respiratoires ou les contusions, ou en inhalation pour chasser les maux de tête. Donc avant de partir en voyage, pensez à emporter un petit sachet de ces graines magiques (faciles à trouver dans les épiceries indiennes).

Dans la cuisine indienne, les graines d’ajowan sont utilisées pour parfumer les féculents (riz, pain, pommes de terre), les légumineuses (les lentilles en particulier), les légumes-racines et le poisson. Avant d’être utilisées, elles doivent être rôties à sec ou dans du beurre (idéalement du ghee, le beurre clarifié) pour augmenter leur parfum. Broyées, les graines d’ajowan sont incorporées à la pâte des pakoras (des beignets à la farine de pois chiche) afin de les rendre plus digestes.

Les poissons cuits au four (par exemple, le délicieux Saint-Pierre) peuvent être fourrés d’un mélange de graines d’ajowan, de cumin et de coriandre broyées ensemble. Une recette punjabi de marinade pour poisson mélange le sel, le jus de citron vert, le gingembre et l’ail (en purée), le piment séché et les graines d’ajowan. Plus près de chez nous, l’ajowan est excellent sur les pizzas en lieu et place du traditionnel origan.

Puisque la Saint-Valentin arrive, une recette supposément aphrodisiaque : faites tremper des graines d’ajowan dans du jus de citron pendant quelques heures, drainez-les et laissez-les sécher. Répétez l’opération six fois (oui, six fois !!!). Les graines ainsi traitées réveilleront toutes les ardeurs…

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