Rubrique : Paris

À Paris, la bonne trattoria de quartier se perd. Les générations d’immigrants italiens vieillissent et ferment boutique pour laisser place à des pizzerias tunisiennes ou des restaurants italiens branchouilles. Dans le 20e arrondissement, il en reste quelques unes dont Il Sorriso, une cantine sicilienne cachée dans l’ombre du Père-Lachaise.

Avec ses heures d’ouverture limitées (et parfois capricieuses) et sa situation géographique à l’écart du passage touristique venu honorer qui Chopin, qui Jim Morrison, Il Sorriso est un restaurant discret et peu connu, sauf des habitants et des travailleurs du quartier. Dans un espace réduit mais lumineux se pressent la cuisine et les tables, ce qui permet de voir Pippo, le patron, à l’œuvre.

Chez Il Sorriso, la carte change tous les jours selon les trouvailles du marché et ça sent bon la cuisine sicilienne, en particulier celle des produits de la mer : pâtes aux sardines et fenouil (« pasta con le sarde »), couscous au poisson, linguine aux couteaux, pavé de thon, etc. Mais Pippo n’est pas sectaire et propose également des plats du continent : piccata de veau au citron, escalope parmigiana, risotto alla milanese (à la moelle de bœuf et au safran), orecchiette alla vicarese (au lapin), et des antipasti assez classiques.

Chez Il Sorriso, les desserts sont en général excellents et, une fois de plus, plutôt d’inspiration sicilienne : cannoli, microbabas au limoncello et, parfois, une sorte de tarte à la cassata à fondre en larmes de plaisir…

Bien sûr, Il Sorriso, ce n’est pas de la grande gastronomie, mais de la bonne cuisine familiale à prix relativement légers (compter 20 à 25 € pour un repas complet, moins de 20 euros pour un plat et un dessert). On n’est pas chez Les Amis des Messina, mais l’ambiance est sympa, la cuisine fraîche et simple, et le serveur, tout aussi métissé que la cuisine sicilienne, est adorable. Les gens du quartier ne s’y trompent pas qui s’y pressent tous les jours de la semaine pour découvrir l’inspiration du chef.

Ouvert du lundi au vendredi – Pas de réservation
1 rue Pierre Bayle – 75020 Paris
+33 1 43 48 49 83

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Rubrique : Fruits & dérivés

Aujourd’hui, les Doudes vont vous raconter la triste histoire d’un fruit autrefois populaire et qui, depuis, s’est fait détrôner par un fripon piridion nippon. Oyez, oyez les mésaventures d’une nèfle devenue si commune qu’elle n’est désormais que quantité négligeable… Des nèfles, quoi !

Il fut un temps où les jardins d’Europe s’enorgueillissaient d’un arbre fruitier apprécié, le néflier commun ou néflier d’Allemagne (Mespilus germanica, malgré ses origines caucasiennes). À ne pas confondre avec le néflier du Japon, ou bibasse, dont les Doudes vous ont déjà vanté les mérites. Dans certaines régions de l’Hexagone, paraît-il, la nèfle commune était élégamment appelée « cul de chien », voire de « cul de singe », même si des culs de singe, ils ne devraient pas en voir souvent, nos ancêtres…

Ces nèfles communes étaient utilisées essentiellement pour préparer des confitures ou des compotes, parfois des alcools. Ce fruit proche des pommes, des poires et des coings (des fruits qui portent le joli nom botanique de « piridions ») était apprécié pour sa saveur une fois cuit et pour sa capacité à se conserver sur des claies pendant une bonne partie de l’hiver. Aujourd’hui, les nèfles ne sont plus commercialisées que dans certains pays (les nôtres viennent de Turquie), mais il n’est pas rare d’en voir encore dans les jardins… pour autant que l’on sache les reconnaître.

La particularité de la nèfle commune est de ne pas être consommable sans une étape de maturation appelée « blettissement ». Initiée par les premières gelées qui détruisent en partie les cellules du fruit, cette transformation des tanins en sucres ramollit la nèfle et lui fait perdre son astringence extrême. Gardez vos jeux de mots (« Que c’est blette, une nèfle ! ») et goûtez cette acidité fruitée, cette saveur sombre et fraîche comme un jour d’automne. La nèfle ne se laisse pas apprécier facilement, mais si vous la faites cuire, elle saura vous étonner par la complexité de ses arômes.

Pour consommer une nèfle bien blette, il suffit de donner un petit coup de dent dans la peau et d’aspirer la pulpe en se gardant bien d’avaler les graines qui sont riches en acide cyanhydrique, le très redouté cyanure (c’est son petit côté Borgia…). Si vous avez des nèfles communes dans votre jardin, récoltez-les en octobre ou en novembre et gardez-les au frais et au sec. Lorsque vous voudrez les consommer, placez-les un jour ou deux au congélateur, puis laissez-les mûrir jusqu’à ce qu’elle soient bien molles. Vous pourrez alors les passer au moulin à légumes ou à l’étamine pour récupérer la pulpe et la cuisiner. Essayez-la sous forme de compote avec du poulet ou du porc…

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Rubrique : Istanbul

Sûr, ça leur fend le cœur de savoir qu’après cet article, il leur sera encore plus difficile de trouver de la place pour y manger… Mais les Doudes ont bon cœur et sont prêts à tout partager, même leurs meilleures adresses. Voici Çiya Sofrası, un monument, un jardin du paradis, un conservatoire des traditions culinaires anatoliennes, un havre de goûts au bord du Bosphore.

À l’origine des Çiya (la montagne, en kurde), il y a un gamin qui a grandi dans une famille de boulangers et de restaurateurs du côté de Gaziantep, au sud-est de l’Anatolie. Musa Dağdeviren, ce gamin devenu adulte, est probablement le meilleur spécialiste de la cuisine populaire anatolienne, en particulier celle des plus démunis, de ceux qui doivent se passer de viande et se nourrir avec leur propre production et des aliments glanés ici ou là : racines, champignons, herbes, etc.

Ce savoir collecté tout au long de sa vie, Musa Dağdeviren le met en scène dans une belle revue (« Yemek ve Kültür », Nourriture et Culture) et dans ses trois restaurants, en particulier Çiya Sofrası (les deux Çiya Kebap sont davantage tournés vers les kébabs). Depuis 1988, chez Çiya Sofrası, pas de menu mais deux comptoirs (l’un pour les salades et autres entrées, l’autre pour les plats chauds). On regarde, on salive, on choisit, on paie au poids. De nombreux plats végétariens reflètent le savoir accumulé par des générations habituées à devoir se passer de viande.

Chaque jour, une cinquantaine de plats sortent des cuisines, variant selon la saison et les ingrédients trouvés par le propriétaire (qui est particulièrement exigeant dans ce domaine). Des classiques comme le perde pilav (du riz au poulet et aux fruits secs, cuit en aumônière dans un moule), les feuilles de vigne farcies aux griottes ou au fromage lor, ou les fricassées d’herbes, de légumes et de çağla (divers fruits à noyaux récoltés encore verts). Des recettes inhabituelles comme le galye (un ragoût d’agneau aux coings, abricots et châtaignes), le keledos, une purée grossière de pois chiches, blé et haricots secs servie avec une sauce épicée, ou le pazı borani, un ragoût de blettes, pois chiches et haricots secs servi avec du yaourt. Plus rarement paraît-il, mais nous n’avons pas eu la chance d’y goûter, Çiya sert du yeni dunya (des nèfles du Japon farcies à la viande !) ou des champignons keme grillés (une sorte de grosse truffe).

Chez Çiya Sofrası, les salades sont délicieuses, souvent préparées avec les herbes des montagnes (de la mauve, de la mélisse, etc.). Parmi les desserts, mention spéciale pour les yaprak sarma aux pistaches et, difficile à dénicher si loin du Liban ou de la Syrie, les karabij, de petits maamouls à la pistache (kerebiç, en turc) servis avec une mousse sucrée, natef en arabe, préparée avec de la racine de saponaire (Saponaria officinalis) qui rappelle le nishalla. En Turquie, on appelle ça « köpük helvası », le dessert d’écume (merci Ayset !). Vous pourrez également y goûter des « fruits » confits inhabituels : tomates, olives et noix vertes, aubergines, etc. Divers jus sucrés (şerbet) peuvent accompagner le repas selon les saisons : mûre, datte, prune, etc. Et les plus chanceux se verront proposer une petite tasse de kaynar, une infusion d’épices sucrée saupoudrée de noix hâchées.

Pour trouver Çiya Sofrası, il faut prendre le bateau jusqu’à Kadıköy sur la rive asiatique et se faufiler dans les ruelles du marché jusqu’à la rue du Jardin ensoleillé… Les trois Çiya se font face.

Caferağa Mah., Güneşlibahçe Sokak 43, Kadıköy
+ 90 216 330 3190
ciya.com.tr

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