Rubrique : Viandes

Un bon gigot de sept heures, ça vous met l’eau à la bouche ? Ou bien un méchoui pour lequel vous vous êtes levé avant l’aube ? Les Kurdes ont imaginé une variation légèrement plus extrême sur le thème, le büryan kebabı. Un truc de dingue qui rend la viande d’agneau plus fondante qu’un biscuit à la cuillère. Mais pas question de le faire à la maison… sauf peut-être si vous habitez de plain-pied !

Pour faire un bon büryan kebabı, il faut des costauds et… des pioches. Voire quelques barres à mine. Éventuellement un peu de dynamite. Parce que le secret de ce mode de cuisson typique de la région de Siirt et de Bitlis, au sud-est de l’Anatolie, c’est la fosse. Une fosse cylindrique d’un bon mètre de diamètre et d’environ 2,5 mètres de profondeur. Ensuite, il faut tapisser les parois de briques réfractaires et prévoir un lourd couvercle hermétique. Une sorte de gigantesque tandoori.

Enfin, il faudra vous munir d’un cerceau garni de crochets de boucherie et y suspendre une bonne douzaine de demi-carcasses d’agneau fendues dans le sens de la longueur, sans les épaules ni les gigots. Après avoir chauffé la fosse en y menant un feu d’enfer jusqu’à ce que le fond soit couvert de braises, et y avoir placés quelques récipients remplis d’eau, il suffira d’y suspendre les demi-carcasses et de laisser la chaleur cuire la viande lentement, non sans avoir scellé le couvercle avec de la boue argileuse.

Pendant deux heures et demie, voire plus, les carcasses vont cuire dans un mélange de vapeur d’eau et de fumée de graisse, ce qui va rendre la viande à la fois tendre et extrêmement parfumée. L’extérieur des carcasses va ressortir doré et croustillant. Parce les agneaux sont mis à cuire au petit matin (voire parfois au milieu de la nuit), le büryan kebabı est plutôt un plat du petit-déjeuner (en Anatolie) ou du déjeuner (à Istanbul).

La viande est servie débitée en petits morceaux, avec ou sans os (kemikli ou kemiksiz), avec ou sans gratons (yağ ou yağsız), et posée sur un pain plat et rond de la taille d’une assiette à dessert, le tırnaklı ekmek. Le tout est réchauffé au four avant d’être servi. Parce que les agneaux utilisés sont âgés de six à huit mois, le büryan kebabı est, mmmm…, fort en goût ! Et parce qu’il s’agit d’agneaux anatoliens, ils ne manquent pas de bon gras qui imbibe délicieusement le pain placé sous la viande. Si l’agneau domine à Siirt et à Istanbul, les habitants de Bitlis préfèrent le büryan kebabı de chevreau, moins gras.

Typiquement, le büryan kebabı se déguste avec un perde pilav (un « riz voilé », du riz parfumé aux raisins secs, amandes, pignons de pin et poivre, cuit avec du blanc de poulet dans une aumônière de pâte en forme de petit kouglof) et avec une tasse d’ık ayran bien mousseux, le yaourt dilué et légèrement salé si parfaitement bon avec la viande rôtie. Une petite salade pour se donner bonne conscience, et hop !

À Istanbul, depuis trois générations, une excellente adresse pour manger un büryan kebabı : Siirt Şeref Büryan Kebap Salonu, situé sur une place piétonne au pied de l’aqueduc de Valens (qui date de 368 après J.C., excusez du peu…), dans le quartier appelé Kadınlar Pazarı (le marché des femmes, également surnommé « Le Petit Kurdistan »). Tout en admirant l’architecture romaine, vous pourrez faire le plein d’agneau fondant. Pour digérer, titubez jusqu’à la mosquée de Zeyrek voisine, constituée à partir de deux églises et d’une chapelle byzantines, actuellement en pleine rénovation.

Environ 10 € par personne, tout compris.
Ouvert tous les jours de 10h à 23h.

Itfaiye Caddesi N°4, Fatih, Istanbul
+90 212 635 8085

serefburyan.com

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Rubrique : Istanbul

À Istanbul, la recherche du meilleur restaurant de poisson relève du sport national. Un sport réservé aux plus nantis, ces restaurants étant souvent assez chers. Dès lors, comment résister à un restaurant de poisson qui est à la fois excellent et pas cher ? À deux pas de la tour de Galata, le tout petit Fürreyya Balıkcısı possède ces deux qualités.

Istanbul est une ville de poisson(s). Qu’ils soient de la mer Noire ou de la mer de Marmara (plus rarement de la Méditerranée, les Stambouliotes leur trouvant moins de goût, un peu comme des Bretons visitant le Midi…), les poissons rythment la vie de la cité. Les Doudes imaginent même y lancer un calendrier « Les Dieux du Bosphore » où chaque mois serait illustré par les espèces à manger en priorité ce mois-là : anchois (hamsi) en décembre-janvier, turbot (kalkan) en mars-avril, bar (levrek) en avril-mai, sardines (sardalya) en août-septembre, rouget (barbunya) en octobre-novembre, etc.

Outre sa qualité et son prix raisonnable, Fürreyya Balıkcısı a un atout en plus : au-delà des classiques poissons grillés (délicieusement frais), beignets de calamars (extra-tendres) ou soupe de poisson (proche des « chowders » américains), ce restaurant propose des plats originaux et savoureux : par exemple, le dürüm de poisson (pensez « fajita » croustillante) parfumé d’oignons caramélisés et de roquette ; ou les filets de daurade enroulés dans des feuilles de vigne et sautés (une tuerie) ; ou les köfte de poisson (des mini-hamburgers de poisson parfumés à la tomate et aux poivrons, légèrement fumés) ; ou la salade de morue frite ; ou, plus rarement, les mantı de poisson (des micro-tortellini).

Bref, chez Fürreyya Balıkcısı, on se pourlèche les babines dans une ambiance sympa, assez éloignée du traditionnel restaurant de poisson stambouliote, soit trop « je m’la pète », soit trop « dans son jus années 60 – néons blanchâtres – clientèle d’époque »… On peut accompagner son repas d’une salade mélangée et l’arroser de şalgam qui met en valeur le goût du poisson.

Si vous passez par Galata et si vous avez envie de poisson, prévoyez de dîner un peu tôt. Fürreyya Balıkcısı, même s’il s’est récemment agrandi, reste minuscule et les places sont chères. Au pire, vous pourrez toujours commander un dürüm à emporter et le manger en regardant la tour de Galata. Et après, posez vos fesses au Ceneviz Café, juste sous la tour, pour un verre de thé dans un joli petit amphithéâtre en plein air.

Environ 15 € par personne, tout compris.
Ouvert tous les jours de 11h à minuit, fermé le dimanche en été.

Serdar-i Ekrem Sokak 2, Beyoğlu, Istanbul
+90 212 252 4853

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Rubrique : Légumes

Ce n’est pas toutes les semaines que le Festin vous présente un plat qui figure au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité ! Depuis novembre 2011, le keşkek fait partie de cette liste de « pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire ». Car, plus qu’une recette, le keşkek est une tradition bien vivante en Anatolie, en Iran, dans le Sud-Caucase et dans certaines îles grecques.

Au premier degré, le keşkek est un plat archi-simple à base de viande et de blé écrasé. Rien de très excitant. Pourtant, ce plat rustique est l’un des piliers centraux des communautés rurales qui le pratiquent. Pas un mariage, une circoncision, une fête religieuse ou un pèlerinage sans keşkek. Même les prières pour la pluie s’accompagnent de ce plat qui est à la fois une nourriture, un chant et une communion.

Comme le sumalak ouzbek (dont nous vous parlerons un jour), le keşkek est un plat qui implique d’être cuisiné collectivement, à l’échelle d’une communauté ou d’un village. Il symbolise l’identité et l’effort communs, le partage, les traditions, la survie du groupe. Sa préparation et sa consommation sont tellement chargées symboliquement qu’elles sont devenues un élément essentiel de la cohésion du groupe. D’où l’inscription du keşkek au patrimoine culturel immatériel.

Tout commence la veille de la cérémonie autour de grains de blé lavés en récitant des prières, puis emmenés en procession au son d’un tambour et d’un hautbois traditionnels jusqu’à un large mortier en pierre. Les grains sont débarrassés de leurs enveloppes par deux hommes armés de pilons qui les frappent selon un rythme caractéristique, le « son du keşkek ».

Ensuite, les grains sont mis à cuire dans de grands chaudrons en cuivre étamé, sous la surveillance de « maîtres keşkiers » dont le savoir se transmet de génération en génération. Le blé est cuit avec des oignons, des épices et des morceaux de viande « sur l’os ». Le mélange doit être cuit à petit feu et remué en permanence pendant 24 heures. Les hommes se relaient toute la nuit et les membres de la communauté les accompagnent de leurs histoires, chansons, blagues, etc.

Le lendemain à midi, deux jeunes hommes choisis pour leur force écrasent le blé armés d’une sorte de cuillère en bois, pendant que des assistants enlèvent les os avec de longues pinces. Leurs gestes épousent le même rythme que celui utilisé pour battre les grains. Autour d’eux, la foule crie et chante, et les joueurs de hautbois entonnent une mélodie rapide qui ralentit progressivement lorsque le keşkek est prêt. Le keşkek est ensuite distribué à tous les participants, sans oublier ceux, âgés ou handicapés, qui n’ont pas pu se joindre à la fête.

Certains restaurants turcs, par exemple Çiya, proposent du keşkek sur leur menu. Quoiqu’excellent, ce keşkek-là ne possède pas les vertus symboliques de celui qui est préparé dans les villages d’Anatolie ou de la mer Égée. Mais en le dégustant, rien n’empêche de penser que, très indirectement, vous participez un peu à cette gigantesque communion qui célèbre le travail en commun, la solidarité et la fraternité.

Rubrique : Istanbul

À un jet de pierre de la maison des Doudes à Istanbul, à la limite de Cihangir et de Çukurcuma, un nouveau restaurant vient d’ouvrir dans ce qui était jusque-là la petite boulangerie historique du quartier. Un nouveau concept qui fait écho à l’histoire du lieu et qui se révèle être le énième avatar d’une cuisinière de génie.

Au départ, il y a une dingue de cuisine créative, Dilara Erbay, connue comme la louve blanche parmi les afficionados de la cuisine stambouliote. Après avoir tenu un restaurant dans la rue des Français, Erbay Hanım a apporté sa touche au restaurant Cezahir (qui ne semble pas s’être remis de son départ), puis connu son heure de gloire dans un vaste établissement au bord du Bosphore (Abracadabra, qu’il repose en paix).

Il y a quelques mois, après avoir débauché un maître-fournier d’Antakya, elle a mis le cap sur la microscopique boulangerie de notre quartier pour en faire Datlı Maya, un restaurant où tous les plats chauds/cuits sortent d’un four chauffé au bois. Pas d’autre moyen de cuisson, c’est le défi que s’est lancé Dilara.

Le lieu est unique. Pour atteindre la petite salle à manger (20 places en se serrant beaucoup), il faut traverser la boulangerie (en admirant le four historique et les mosaïques récentes), monter un escalier tortueux et bas de plafond, traverser la cuisine « froide », remonter trois marches et enfin poser ses fesses en faisant attention à ne rien renverser. Au coin de la pièce, un gros samovar est là pour vous abreuver de thé.

Chez Datlı Maya, vous pouvez déguster de délicieux pide et lahmacun, des soupes, des ragouts de légumes cuits dans des plats de grès (güveç), des dürüm (le « wrap » turc), des salades et d’autres créations selon le marché du jour et les fantaisies de la patronne ou de l’équipe. Un soir, le compte facebook de Datlı Maya nous a informés de l’imminente sortie du four d’un biriyani de poulpe (un riz indien cuit à l’étouffée). Nous avons accouru à l’heure dite et ne l’avons pas regretté. Datlı Maya propose également toutes sortes de gâteaux : cheesecakes, carrot cake, fondant au chocolat, cookies… et divers produits de boulangerie : simits, pains, etc.

Le mode d’emploi de Datlı Maya est simple : avant de monter à la salle à manger, jetez un œil sur ce qui sort du four, posez des questions, commandez ce qui vous tente… Quelques instants après, votre repas arrive sur une grande pelle en bois de boulanger. C’est frais, c’est délicieux, c’est original. C’est de la cuisine traditionnelle à son meilleur.

Si vous passez par Istanbul, ne ratez pas Datlı Maya avant que Dilara Erbay, la chef nomade, ne décide d’aller poser ses ustensiles ailleurs. Ses aventures en restauration sont autant de moments éphémères où l’ennui n’a pas le temps de ternir sa créativité et son amour des ingrédients de qualité.

Compter 15 € par personne tout compris.
Ouvert tous les jours de 8h à minuit – Livraison à domicile

Türkgücü Caddesi 59/A – Cihangir – Istanbul, Turquie (derrière la mosquée Firuz Ağa)
Tél. : +90 212 292 90 56/57
datlimaya.com

 

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Rubrique : Desserts & sucreries

Certains desserts ont un petit goût de fruit défendu, de plaisir si honteux qu’on préfèrerait les garder secrets. Foin d’hypocrisie, les Doudes vous révèlent un dessert übercochon qui, à chaque bouchée, fait monter la culpabilité et l’envie d’en manger davantage… Victimes du kerebiç / karabij, sortez du placard et vivez vos amours au grand jour !

C’est un soir d’août, dans une accueillante famille beyrouthine, que les Doudes sont tombés sous les attaques du karabij et de son diabolique complice, le natef. Alors que nous étions déjà au bord de la rupture d’estomac, soudain est apparue une forteresse de gâteaux circulaire défendant en son sein un onctueux nuage blanc. Une révélation, une immédiate addiction et un parfum de mystère : qu’est-ce donc que le shilsh al-halawa, cette plante indispensable à la confection de la mousse blanche ?

Quelques semaines plus tard, en pèlerinage chez Çiya Sofrası, les Doudes ont soudain eu une apparition : ils étaient là, les mystérieux gâteaux d’Achrafieh. Sous le nom turc de kerebiç, le natef étant lui devenu le köpük, littéralement la « mousse » (d’où parfois le nom de « köpük helvası », dessert d’écume). Nous étions cernés et une rechute immédiate confirma notre suspicion.

Les kerebiç / karabij sont typiques du Liban, du nord de la Syrie (Alep) et du sud de la Turquie (Mersin et Antep). Les gâteaux sont tout à fait similaires aux maamouls libanais, juste moins sucrés, le sucre étant apporté par le natef. Le secret du natef, cette mousse à la texture unique et au goût inhabituel, c’est la racine de saponaire (Saponaria officinalis), une plante courante partout dans le monde. Comme son nom l’indique, elle contient de la saponine, un savon naturel. En cela, le natef se rattache au nishalla ouzbek qui, lui, est enrichi de blanc d’œufs.

Déguster un petit morceau de karabij avec un nuage de natef est une expérience gustative. Le natef onctueux et très sucré contraste et exalte les parfums de la pistache et le sablé du gâteau. On se dit que ce n’est pas un dessert raisonnable, vraiment pas raisonnable. Et on en reprend un autre.

Pour 12 kerebiç

Gâteaux

  • 180 g de semoule fine
  • 20 g de farine
  • 20 g de sucre brun
  • 75 g de beurre ramolli ou, mieux, de samneh (beurre clarifié, « ghee » dans les épiceries indiennes)
  • 10 g de levure de boulanger (ou 1/2 sachet de levure lyophilisée)
  • 1,5 cuillerée à soupe d’eau de fleurs d’oranger

Farce

  • 90 g de pistaches émondées hachées
  • 25 g de sucre brun
  • 1 cuillerée à dessert d’eau de fleurs d’oranger
  • 1 cuillerée à dessert d’eau de rose

Mousse

  • 30 g de racine de saponaire séchée (sur commande en pharmacie ou chez un herboriste)
  • 350 ml d’eau
  • 180 g de sucre en poudre (ou de glucose si vous en avez)
  • ½ cuillerée à dessert d’eau de fleurs d’oranger
  • ½ cuillerée à dessert d’eau de rose
  • ½ cuillerée à dessert de jus de citron

Mélangez la semoule, la farine, le sucre et la levure. Ajoutez le beurre ramolli et travaillez jusqu’à ce que le beurre soit absorbé. Ajoutez les eaux de fleurs et pétrissez jusqu’à obtenir une pâte élastique. Couvrez et laissez reposer au moins une heure et demi.
Dans un bol mixeur, malaxez les pistaches hachées, le sucre et les eaux de fleurs. Mettez de côté et faites préchauffer le four à 200°C.
Quand la pâte est reposée, faites-en douze boulettes de la taille d’une noix. Placez-en une dans le creux de votre paume, aplatissez-la avec l’index et le majeur de l’autre main, assez fin sans qu’elle se brise. Au creux de la pâte, placez une ligne de farce (une cuillerée à dessert) en laissant les extrémités libres. Repliez et pincez la pâte sur la farce pour faire un cylindre bien fermé (environ 8 cm de long sur 4 cm de large, la pâte doit être plus fine que l’épaisseur de la farce).
Posez le gâteau sur la plaque du four beurrée, en plaçant la « couture » sur la plaque. Passez au suivant. Faites-les cuire entre 12 et 15 minutes, jusqu’à ce qu’ils soient dorés. Laissez-les refroidir sur une grille.
Pour le natef, commencez à préparer un sirop avec les 180 g de sucre dans 50 ml d’eau additionnée du jus de citron. Faites doucement bouillir trois minutes, retirez du feu et ajoutez les eaux de fleurs. Brossez la racine de saponaire sous l’eau froide. Placez-la dans 300 ml d’eau et amenez à ébullition. Sur un feu moyen (et en restant devant, ça mousse…), faites réduire le liquide jusqu’au quart de son volume initial. Il est alors de couleur brune.
Filtrez la décoction de saponaire dans un saladier et fouettez-la comme vous le feriez de blancs d’œuf. Lorsqu’elle est montée, ajoutez lentement le sirop de sucre tout en continuant à fouetter. Arrêtez d’ajouter le sirop lorsque vous avez obtenu une mousse ferme et souple. Elle peut rester quelques heures à température ambiante sans retomber.
Servez les karabij avec le natef. Vous pouvez saupoudrer le natef d’un peu de cannelle.

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Rubrique : Fruits & dérivés

Ahhh… vous vous demandez ce que les Doudes sont encore allés chercher, hein ? « Yayla muzu », en turc, cela signifie « banane des plateaux » et cette banane-là ne se trouve que pendant quelques semaines, vendue en bottes à la sauvette dans les rues de Turquie. Drôle de banane en fait, verte et couverte d’aspérités…

Imaginez les Doudes dans les rues d’Istanbul, face à un petit chariot plein de bottes de… de … d’asperges ? Non, ce ne sont pas des asperges. Mais alors ? Le vendeur ne nous aide guère puisqu’il nous présente ces drôles de tiges vertes comme des « yayla muzu », des bananes des plateaux. Pourtant, « ça » ne ressemble en rien à une banane, « ça » est couvert de sortes de verrues et « ça » porte des grappes de boutons de fleur.

Sitôt ramené à la maison, le mystérieux « fruit » est disséqué, goûté et la vérité se fait jour : ça sent diablement la rhubarbe ! Une petite recherche plus tard, il s’avère que la banane des plateaux est en fait une espèce sauvage de rhubarbe, Rheum ribes, qui pousse sur les plateaux d’Anatolie orientale, du Liban et d’Iran. Elle est également appelée « uçkun » ou, en français, « rhubarbe ribes ». Sa racine est utilisée en herboristerie locale pour traiter le diabète, les hémorroïdes, la diarrhée, etc.

La rhubarbe sauvage turque est typique d’une région qui s’étend d’Erzurum à Şırnak, Siirt en étant un peu la capitale, et reste quasiment inconnue des autres régions de Turquie. Pendant deux mois, de mi-avril à mi-juin, la rhubarbe sauvage est cueillie sur les plateaux et vendue essentiellement dans les villes de l’Est anatolien. Mais ici, pas de compote ou de tarte : le cœur des tiges se consomme cru, après avoir pelé la bête en long comme… une banane !

Les Doudes, amateurs de rhubarbe des jardins introuvable en Turquie, ont aussitôt décidé de cuisiner la banane des plateaux et là, surprise, sa richesse en fibres la rend très difficile à cuisiner. Sa compote doit être passée comme une soupe de légumes avant d’être consommable. Qu’à cela ne tienne, passée elle fut et mélangée à de la purée de « vraies » bananes sautées au beurre. Parce que si la rhubarbe et la banane sont faites l’une pour l’autre (essayez ce mélange en compote ou en confiture), il semblait évident de faire se rencontrer la banane des tropiques et celle des plateaux.

Et foi de Doudes, ce fut si bon que nous en rachetâmes quelques jours plus tard !

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Rubrique : Istanbul

Le Nord-Est de la Turquie, coincé entre Mer Noire, montagnes et Géorgie, est une terre de gastronomie passionnante. Les produits locaux, plus proches de ceux de la Bretagne que de ceux de la Méditerranée, inspirent une cuisine unique, enracinée dans une culture ancienne. Pour la découvrir, direction Hayvore, à nos yeux son meilleur ambassadeur à Istanbul.

Même si la plupart de nos lecteurs sont bien loin d’Istanbul, nous aimons les faire saliver à distance en partageant les joies gustatives de nos cantines d’amour. Pour fêter les trois ans du Festin (mais oui, trois ans déjà…), nous vous emmenons chez Hayvore, un restaurant spécialisé dans la cuisine du Nord-Est de la Turquie, le pays des Laz, descendants des Grecs de la Colchide et du Pont. La cuisine de cette région, également pays des Amazones et de la Toison d’or, est connue pour son particularisme et pour son usage illimité des anchois frais, du maïs et des noisettes.

Hayvore est la nouvelle maison d’un certain Hızır, déjà connu pour un autre restaurant négromarin qu’il a quitté en emportant les meilleurs éléments de l’équipe. Cette nouvelle adresse, pimpante, est décorée d’images grand format de paysages du Nord-Est. Le vert règne en maître : vert des arbres, des prairies, des rivières. Une grande bouffée de verdure sous l’œil perçant d’un épervier, oiseau emblématique de la région.

Chez Hayvore, les Doudes ont trois plats favoris qui leur font pousser des « Mmmm… » et des « Oh p****ng ! » de plaisir. Le premier, le plus spectaculaire, est le hamsi pilav, un riz aux herbes, pignons et baies d’épine-vinette cuit dans une croûte d’anchois grillés. Oui, vous avez bien lu. Des anchois frais qui enveloppent une portion de riz moelleux et parfumé et qui, passés au four, croquent sous la dent. Surprenant et puissamment addictif.

Notre second plat favori est celui pour lequel Hayvore est de plus en plus connu : des haricots blancs cuits à la tomate (kuru fasulye). Ce plat turc traditionnel tout simple est ici devenu un monument. Les haricots, cuits pendant des heures, fondent dans la bouche comme s’ils n’avaient pas de peau. Un miracle culinaire : la transformation du solide en crémeux sous la seule pression de la langue. Soudain, on comprend pourquoi les Turcs sont raides dingues de haricots et n’hésitent pas à traverser la ville pour en déguster.

Enfin, notre troisième plat favori est un dessert typique de la cuisine laz. Le laz böreği est l’enfant naturel d’un baklava et d’un millefeuille à la crème parfumé aux noisettes. Malgré les œufs et le sirop de sucre, c’est une merveille de fraîcheur qui ne demande qu’à être savouré encore et encore et encore…

Les plaisirs d’Hayvore vont au-delà de nos trois plats fétiches : soupe et ragoût de blettes, pois chiches à la tomate, köfte, aubergines farcies et, au fond du restaurant, un four à pide, ces pizzas en forme de bateau typique de la Mer Noire. Un pain de maïs très évocateur du cornbread du sud des États-Unis accompagne le repas. En dessert, du gâteau aux noix, du potiron cuit au sucre, des baklavas…

Pour trouver Hayvore, c’est facile. En remontant Istiklal, il faut tourner à droite dans la rue qui va vers le hammam de Galatasaray. C’est tout de suite sur la droite. Hayvore est ouvert tous les jours. Comptez 10-12 € par personne.

Turnacibasi Sokak 4, Beyoğlu, Istanbul
+90 212 245 7501

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Rubrique : Boissons, Fruits & dérivés

Pour un pays musulman, les Turcs ont une sacrée connaissance des mille et une façons de tirer parti de la vigne et du raisin : feuilles farcies, raisins secs, pekmez, rakı, vin, etc. Au détour d’un repas, les Doudes ont découvert une autre façon d’utiliser les raisins secs, un fruit séché dont la Turquie est le premier producteur mondial.

Récemment, les Doudes se sont lancés dans une exploration systématique et coordonnée des hamburgers servis à Istanbul. Un bon hamburger, c’est important. Un bon hamburger, c’est une expérience tactile, visuelle et gustative complète. Un bon hamburger reflète forcément les habitudes culinaires du lieu où on le consomme, demandez donc aux grandes marques de fast-food : à chaque pays sa recette, même au sein d’une franchise.

La recherche doudienne du Graal hamburgérien stambouliote n’a pas été sans risque… Les Turcs ont l’habitude de leurs kébabs, de la viande hachée assez grasse, et les hamburgers locaux font plus souvent penser à des pljeskavica qu’au steak haché comme nous les consommons en Europe occidentale. Mais nous reviendrons là-dessus un autre jour…

Cette recherche pointue nous a amené à découvrir une boisson traditionnelle turque, compagnon naturel du kébab (en particulier de l’iskender kebab de Bursa) et des viandes grillées en général : le şıra (prononcez « sheura »). Cette boisson sucrée est, le plus souvent, simplement du jus de raisin à peine fermenté. Mais dans les meilleures maisons, le şıra est du jus de raisins… séchés ! Oui, bel oxymore, le jus de raisin sec.

La fabrication du şıra est simple : des raisins secs mis à tremper quelques heures puis broyés dans un mortier de pierre en une sorte de pâte sucrée qui est ensuite pressée deux fois (en rajoutant de l’eau entre les deux pressages) avant filtration. Le résultat est un délicieux liquide rose brique au goût intense de raisin sec, avec parfois une toute petite touche de fermentation.

Le şıra est réputé faciliter la digestion des viandes grillées mais il est également utile pour… attendre d’être servi. En effet, dans les gargottes à kébab, on est souvent assis parmi d’autres mangeurs et l’attente peut devenir cruelle pour celui qui a faim. Riche en sucre, le şıra permet de patienter en attendant de voir arriver la barbaque ruisselante de gras (c’est un peu toujours comme ça en Turquie).

Si vous passez par Istanbul en été, vous pourrez déguster un excellent şıra chez Vefa Bozacısı, haut-lieu de dégustation de la boza en hiver, à l’ombre des minarets de la Süleymaniye. Sinon, il vous faudra aller manger un bon kébab ou en fabriquer chez vous, avec des raisins secs foncés et de l’eau de source. Enjoy !

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Rubrique : Fruits & dérivés

Il y a trois ans déjà, l’un des tout premiers articles du Festin de Doudette présentait la mélasse de grenade. Depuis, des rivières de sirop ont coulé sous les ponts et les Doudes ont découvert le monde merveilleux des autres mélasses moyen-orientales, en particulier celles de Turquie, les pekmez.

Même si cela est difficile à imaginer, il fut un temps où l’Ancien Monde ne connaissait pas le sucre. Un temps d’avant la canne ou la betterave. Un temps où le peu de sucre qui arrivait en Europe était le privilège des plus riches. Les plats sucrés étaient alors préparés avec du miel ou des sirops fabriqués à partir de fruits, les mélasses.

Aujourd’hui, le sucre omniprésent et bon marché a éclipsé la plupart des mélasses d’Europe occidentale, à l’exception de la Belgique où le sirop de Liège fait de la résistance. Au Moyen-Orient, les mélasses sont encore bien vivantes. Elles sont couramment utilisées dans la cuisine tant pour leur pouvoir sucrant et leur saveur que pour leur richesse nutritionnelle.

En Turquie, ces sirops de fruits se regroupent sous le terme générique de pekmez. Si le pekmez de raisin reste le plus utilisé, il en existe d’autres sortes : mélasse de grenade, de datte, de caroube, de mûre, de figue… Récemment, les Doudes ont mis la main sur du pekmez de genévrier de Syrie (Juniperus drupacea, également appelé andız) au goût intensément résineux, délicieux dans le yaourt. Il existe même un pekmez œcuménique, PekMix, qui mélange caroube, raisin, datte, mûre et andız ! La classe.

Quel que soit le fruit utilisé, la préparation du pekmez est à peu près similaire. Les fruits sont écrasés et pressés pour obtenir un jus qui est mis à chauffer dans de petites marmites de cuivre. Après une première cuisson, une terre riche en argile et en chaux est ajoutée au jus. Ce procédé, similaire au collage du vin, permet de le clarifier et de diminuer son acidité. Après décantation et filtrage, le jus est chauffé de nouveau pour le concentrer, sans jamais cesser de le remuer. Le résultat est un liquide épais, brun foncé, plus ou moins acidulé selon le fruit utilisé.

Du fait de leur richesse en sels minéraux (calcium, potassium, fer, magnésium, chrome), les pekmez sont considérés comme un fortifiant et traditionnellement administrés aux personnes âgées ou convalescentes, aux femmes enceintes ou aux enfants en croissance. De plus, les pekmez de caroube et de genévrier sont réputés comme remèdes contre les maladies respiratoires. Mélangé à de la pâte de sésame (le tahini), le pekmez est un classique des tartines du petit-déjeuner turc, une version anatolienne du beurre de cacahuètes dont les Doudes sont très friands…

Les pekmez sont assez faciles à trouver pour peu vous ayez une épicerie turque dans votre ville (par exemple, ici). Ceux de raisin et de grenade sont les plus couramment commercialisés hors de Turquie.

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Rubrique : Légumes

Juste en face de leur nid stambouliote, les Doudes ont la chance d’avoir le plus célèbre marchand de turşu de la ville. Régulièrement, ils s’arrêtent pour admirer les bocaux de légumes et de fruits vinaigrés, joliment empilés dans la vitrine. Les turşu, c’est l’été dans un pot en verre, même quand la neige recouvre les dômes des mosquées.

 

La tradition turque du turşu (« tourchou ») s’inscrit dans un paysage culturel bien plus large : la conservation des légumes d’été dans le vinaigre salé, probablement originaire de Chine, se pratique de l’Asie centrale à la Serbie, bien au-delà de nos pauvres cornichons et oignons perlés. Dès le mois d’août, toutes les ménagères d’Urumchi à Tirana en passant par Beyrouth astiquent leurs bocaux et partent à la recherche des plus légumes les plus frais et les plus sains.

En Turquie, tout se conserve dans le vinaigre : concombre, navet, carotte, chou-fleur, chou blanc, betterave, prune verte, ail, poivron, tomate, haricot vert, céleri, okra, artichaut, maïs, pomme de terre, aubergine, oignon, piment, feuille de vigne, melon vert, œuf, … mais également poire, raisin, abricot, pêche, coing, grenade, orange, mandarine, griotte, cornouille, nèfle du Japon, amande, cynorrhodon, banane, etc. De jolis légumes farcis sont également vendus, par exemple des aubergines farcies de chou blanc, décorées de poivron rouge et ligotées par une fine branche de céleri. Les Doudes ont même vu des pommes de pin vertes en turşu et se demandent encore si ça se mange…

Deux écoles de turşu cohabitent en Turquie en termes de source d’acidité nécessaire à la conservation : l’école de la conservation par le vinaigre salé, très implantée en Anatolie orientale et centrale, et l’école du jus de citron salé, plus présente dans les régions proches de la mer Égée et de la Méditerranée, là où poussent les agrumes. Certains turşucu (les fabricants) mélangent les deux. Mr Toydemir, propriétaire de Asri Turşucu, en bas de chez les Doudes, est un fan du jus de citron enrichi au verjus (le jus extrait de raisins blancs immatures).

Pour des turşu parfumés et croquants à souhait, tous les ingrédients sont essentiels : des légumes ou des fruits sains, cueillis à maturité depuis peu ; du sel de mer sans ajout chimique (en gros grains pour un meilleur croquant) ; de l’eau de source peu minéralisée (Mr Toydemir la fait venir du mont Uludağ, l’Olympe turc) ; du vinaigre ou du jus de citron suffisamment acide ; des bocaux impeccables et hermétiques.

Les turşu sont fréquemment proposés sur les tables turques, en particulier avec les mezze et le rakı (l’anisette locale). Ils ont la réputation de faciliter la digestion et de prévenir les effets nocifs de l’alcool. Les magasins de turşu proposent également du şalgam suyu, du jus de turşu (le liquide de conservation, réputé excellent pour la santé) et, parfois, de la boza.

Asri Turşucu
Ağahamamı Caddesi 9/a – Cihangir, Beyoglu – Istanbul
asritursucu.com