Rubrique : Fruits & dérivés, Istanbul

Parmi les fruits injustement négligés en France, le coing figure en bonne place. Au Moyen-Orient, le coing est un produit recherché et il est présent tout l’hiver sur les étalages. Parmi leurs multiples recettes de coing, les Turcs ont raffiné l’art de le confire pour en faire un dessert à se damner, l’ayva tatlısı.

Le coing est un fruit qui ne laisse pas faire… Pas comme ces pauvres pommes qui ne demandent qu’à finir en compote. Non non non, le coing est un costaud qui ne révèle ses charmes qu’à ceux qui savent le cuisiner longuement, lui faire cracher ses parfums et l’attendrir avec patience. Dans tout le Moyen-Orient, le coing est cuit à toutes les sauces : en ragoût, en tajine, en compote, farci à la viande et, en particulier en Turquie, confit longuement dans un sirop de sucre.

Cuisson dans un sirop léger, passage au four, puis recuisson dans un sirop plus épais (qui finira en gelée), l’ayva tatlısı (littéralement « dessert de coing », tout simplement) demande du travail. Mais le résultat vaut largement le labeur : des demi-coings parfaits, brillant de leur gelée, d’un rouge brun virant sur l’acajou, à la saveur complexe, fruitée et fleurie à la fois, et tendres comme du beurre.

Si de plus, comme les Turcs, vous les dégustez avec de la crème caillée très épaisse et dépourvue de toute acidité (du kaymak, obtenu en faisant longuement chauffer puis reposer du lait de bufflonne) alors c’est un monde nouveau qui s’ouvre à vos papilles. Soudain, votre patrimoine génétique, programmé depuis des millions d’années pour vous faire rechercher les aliments gras et sucrés, s’apaise et un sentiment de béatitude calorique vous envahit jusqu’au fond du pancréas.

Si vous passez par Istanbul de novembre à avril (la saison des coings) et que vous avez envie de succomber aux charmes de l’ayva tatlısı, une seule adresse : la pâtisserie Sakarya Tatlıcısı à deux pas du lycée Galatasaray, près du marché aux poissons de Beyoğlu. Dans ce paradis des gourmands, de gros coings confits nappés de leur gelée attendent la crème qui les magnifiera. Ce sont les meilleurs que nous ayons goûtés, moelleux à souhait et préparés sans le vilain colorant rouge qui défigure la plupart de leurs concurrents.

Dans cette pâtisserie ouverte depuis plus d’un demi-siècle, ne manquez pas non plus les yaprak dürüm (« rouleaux de feuilles ») : des cigares de pâte phyllo farcis d’un mélange de pistaches hachées et de kaymak, une variété rare de baklava toute en finesse et en fraîcheur qui vous fera couiner de plaisir.

Ouvert tous les jours de 6h à 22h.

Sakarya Tatlıcısı
Dudu Odaları
Sokak 3
Bal
ık Pazarı – Beyoğlu – Istanbul
+90 212 249 2469

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Rubrique : Istanbul

Un restaurant spécialisé dans le petit-déjeuner mais qui les sert jusqu’au soir, c’est une bonne idée, non ? Si, en plus, ce restaurant sélectionne des produits artisanaux venus tout droit des fermes d’Anatolie profonde, comment résister ? Les Doudes vous emmènent découvrir le pantagruélique petit-déjeuner kurde.

Dans les villes kurdes de l’est de l’Anatolie, il existe une tradition de salons de petit-déjeuner (« kahvaltı salonları », comme nous avons nos salons de thé) qui sont ouverts de jour comme de nuit. Oui, chez les Kurdes, le petit-déjeuner est une affaire sérieuse qui peut se passer en soirée… Avec l’exode rural, cette tradition a diffusé vers l’ouest du pays et, en particulier, à Istanbul où les kahvaltı salonları poussent comme des champignons après une pluie d’août. Ces établissements rivalisent entre eux en proposant des produits anatoliens « de la ferme » : fromages, miel, crème fraîche, yaourt, etc.

Pour les Doudes, il n’existe qu’UN kahvaltı salonu stambouliote digne de ce nom : Van Kahvaltı Evi, la Maison du Petit-Déjeuner de (la ville de) Van. Véritable quartier général matinal des Doudes, ce restaurant est tenu par une famille kurde et une petite armée de jeunes serveurs branchouilles que les Doudes ont affublés de surnoms totémiques : la Fouine, le Porc-Épic, etc.

À quoi ressemble un petit-déjeuner de Doudes chez Van Kahvaltı Evi ? Au centre de la table, une assiette variée avec quatre sortes de fromage, dont le très repoussant Van otlu peynir marbré d’herbe de prairie en saumure (pour les agricoles, imaginez du fromage à l’ensilage de ray-grass…), des tomates, des concombres, des olives vertes et noires, des œufs durs, du persil, de la confiture (fraise ou cerise) et un mélange de mélasse de jus de raisin (pekmez) et de pâte de sésame qui a exactement le goût… du beurre de cacahuète !

Autour, une corbeille débordant de toutes sortes de pains, du thé, du jus de fruits frais (un mélange grenade – orange, par exemple) et divers plats selon nos envies : le plus souvent, des œufs brouillés à la saucisse turque, avec ou sans tomates, et des gözlemeler, des sortes de crêpes croustillantes farcies de fromage, d’épinards, de champignons ou d’aubergines.

Mais le summum de cette débauche doudienne, c’est le bal-kaymak : une petite assiette de miel sauvage kurde (bal, avec des fragments de cire, à l’ancienne) et une petite assiette de crème fraîche épaisse et mousseuse comme on ne trouve qu’en Turquie (kaymak). Du pain tout chaud, une couche de miel, une couche de crème (sans la briser, merci) et c’est l’extase anatolienne…

Van Kahvaltı Evi est également connu pour son cacık (« djadjeuk », une salade de yaourt épais au concombre, ail et menthe) et pour son muturğa, une sorte de porridge servi avec des noix. Si vous passez dans le quartier de Cihangir entre 7h et 19h, tous les jours de la semaine, allez vous gaver chez Van Kahvaltı Evi. Foi de Doudes, ce sera l’une de vos plus authentiques expériences culinaires à Istanbul. Attention, les samedis et dimanches matin, queue assurée. En été, on peut déjeuner dehors.

Autour de 10€ par personne.

Defterdar Yokuşu 52/A – Cihangir – Istanbul
+90 212 293 6437

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Rubrique : Paris

Parfois, votre chemin croise une carte de restaurant qui vous fait saliver comme un petit-gris et dont les plats semblent faire écho à votre envie de fusion culinaire. Seulement voilà… au lieu de découvrir de nouvelles harmonies, vous vous retrouvez au cœur d’une cacophonie maladroite qui vous met les nerfs en pelote. Récit des Doudes au pays de Playtime.

Comment, lorsqu’on prétend s’intéresser aux errances culinaires, ne pas fondre devant un restaurant dont la carte contient des phrases comme « fumet de miso au galanga et feuilles de kaffir » ou « mousse fumée au wasabi et gingembre râpé » ? Playtime, la nouvelle incarnation de Viveka Sandklef et Jean-Michel Rassinoux, dit juste cela. Et, au lu des critiques, les Doudes y ont couru comme si le petit Jésus venait d’y naître.

En entrée, ce fut un peu la confusion. En face d’une très intéressante mousse légère (un euphémisme !) de racines de persil, anguille fumée, huile de citronnelle, il y avait des noix de St-Jacques marinées au garam masala (sans goût), mousse de citron bergamote et (absence de) pousses de shiso vert. Mais notre perplexité fut à son comble avec l’arrivée des plats.

Sur une assiette, une aile de raie de bon aloi faisait la gueule à un risotto à la pousse rouge rosâtre et plâtreux qui fut renvoyé tel quel en cuisine (franchement, on en a tué pour moins que ça sur les rives du Pô). Sur les bords, un caviar d’aubergines sans âme et une excellente purée de betteraves jaunes à la cardamome comptaient les points. En face, des noix de joues de porc à la citronnelle et au miso se demandaient justement où étaient passés ces deux ingrédients. D’honnêtes noix de joues de porc traditionnelles sans relief, avec une polenta aux olives noires un peu trop salée.

Les desserts répétèrent le sketch des entrées. En face d’une glace au safran, poire pochée au vin rouge et gâteau aux épices de Noël délicieux bavouillait le mariage contre-nature d’une espuma de chocolat blanc – clou de girofle et d’une gelée de mandarine. La tuile aux graines de sésame en était rigide d’effroi.

Playtime est la démonstration grandeur nature que les rencontres inédites de saveurs ne font pas forcément de la bonne cuisine. Et qu’à vouloir trop faire d’esbroufe dans une seule assiette, on finit par perdre le fil. Au lieu d’errances gustatives si chères à nos cœurs, il ne reste plus que des errances tout court… et le sentiment qu’un mauvais lutin avait secoué les placards au hasard Balthazar.

Lorsqu’on compare la prestation de Playtime à celle de Youlin/Sola ou, dans un ordre de prix plus similaire, de celle de l’Avant-Goût (26 rue Bobillot, 75013) avec son pot-au-feu de cochon aux épices ou de sa crème au chocolat sur lit de confiture de poivrons, là, c’est le wasabi au yuzu qui vous monte au nez devant tant de maladresse !

Formule Soir : entrée/plat ou plat/dessert à 28 €, entrée/plat/dessert à 35 €.
Fermé les samedi, dimanche et lundi soir.

5 rue des Petits Hôtels – 75010 Paris
+33 1 44 79 03 98
(à ne pas confondre avec la péniche Playtime à Ivry-sur-Seine !)

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Rubrique : Épices, condiments & herbes

Certains produits alimentaires sont emblématiques de la culture culinaire qui les a engendrés et ne sauraient manquer dans les placards des cuisines locales. En Hongrie, le passe-partout alimentaire, c’est le Piros Arany, un concentré de paprika qui illumine les plats les plus divers !

« Qui a du paprika et du sel ne manque de rien. » dit un proverbe hongrois. Depuis le XVIIe siècle, la cuisine hongroise est toute entière sous influence capsaïque (Capsicum annuum, le poivron). Pas de plat typique magyare sans paprika et les cuisinières en distinguent autant de sortes que les Esquimaux de neiges : paprika cerise, paprika tomate, paprika bácskai, paprika vert, paprika jaune, paprika tarinabellacziczi, etc.

Pour continuer à se paprikatiser à la morte saison, les ménagères magyares préparent de la « confiture » de paprika, une sorte de concentré qui se conserve tout l’hiver. Pour les cziczigales qui ont préféré chanter au temps chaud, il existe heureusement depuis 1963 le Piros Arany, littéralement l’Or Rouge, un concentré industriel qui est à la cuisine hongroise ce que l’aubergine est à la cuisine turque : l’alpha et l’oméga. L’Or Rouge, c’est aussi le nom que l’on donne en Hongrie au paprika séché. Chaque année, ce pays en produit 10 000 tonnes dont plus de la moitié sont consommées au niveau national (on estime qu’un Hongrois en ingère environ ½ kg chaque année en moyenne !).

Comme nous le confiaient nos magyarophiles préférés autour d’un repas au Petit Budapest, « quand tu mets du Piros Arany dans un plat, il devient automatiquement hongrois » ! Le Piros Arany, c’est du paprika frais dans un tube. Le concentré de tomates des Méditerranéens. Ça va partout : ragoûts, sauces, pâtes, salades, œufs brouillés et, bien sûr, goulash et poulet au paprika. Il existe deux sortes de Piros Arany : doux (édes) ou épicé (csípös ou erös). Il en existe même une version enrichie d’oignons, de tomates, de cumin et d’épices appelée Gulyáskrém, vraiment pratique.

Les Hongrois ne sont pas les seuls à construire leurs plats sur du concentré de paprika : les Serbes ont l’« ajvar » (souvent enrichie d’ail et d’aubergine) et les Turcs la « tatlı biber salçası ». Quelle que soit la provenance de la pâte de paprika, foi de Doudes, n’hésitez pas à vous en équiper : pour préparer une sauce tomate de la muerte que mata, pour tartiner sur un pljeskavica, pour donner du relief à une daube provençale, ou juste en tartine avec un fond de beurre.

Le Piros Arany et l’ajvar sont disponibles dans les épiceries mitteleuropéennes (par exemple, ici ou chez Ronalba, 58-60 rue du Faubourg Saint-Denis, 75010), la tatlı biber salçası et l’ajvar dans notre épicerie turque préférée.

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